Financer de nouveaux réacteurs nucléaires? La décarbonation de l’économie ? L’effort de défense? Les propositions foisonnent pour flécher l’abondante épargne des Français vers les priorités politiques du moment, mais la méthode à suivre pour y parvenir fait encore débat.
Record de l’épargne en France : défis et paradoxes face aux besoins de financements à long terme.
« On n’a jamais vu autant d’épargne en France », assure Ada Di Marzo auprès de l’AFP. Entre l’argent mis de côté par les Français pendant la pandémie de Covid et celui qu’ils ont placé sur les livrets réglementés (A, LDDS, LEP…) pour profiter de taux de rémunération redevenus avantageux grâce à l’inflation, « les montants sont colossaux », complète la directrice générale du bureau de Paris du cabinet Bain & Company. « Pour ne parler que du principal segment de l’épargne des Français, l’assurance-vie représente 1.900 milliards d’euros », renchérit Gérard Bekerman, le président de l’Association française d’épargne et de retraite (Afer).
Du côté des produits réglementés, pas moins de 542 milliards d’euros étaient placés en mai sur le Livret A et le Livret de développement durable et solidaire. Concept très en vogue depuis l’automne dernier, la sobriété consiste non seulement à « faire attention » à la consommation de gaz et d’électricité, « mais de plus en plus largement à en faire un mode de vie », constate l’économiste Patrice Geoffron :
« Tout ça n’est évidemment pas propice à relâcher son épargne », ajoute ce membre du Cercle des économistes, présent à Aix-en-Provence pour les Rencontres économiques qui s’y tiennent chaque été. Une situation paradoxale, pour le vice-président du Cercle Christian de Boissieu. « On n’a jamais eu autant besoin de financements à long terme et face à ces besoins, nous vivons une période où la préférence pour l’épargne de court terme n’a jamais été aussi forte », s’étonne-t-il.
Des propositions pour canaliser les ressources financières des Français vers la transition énergétique.
Mais la masse d’épargne disponible attise évidemment la convoitise. Il faut trouver 413 milliards d’euros pour la défense d’ici 2030 ? Le Sénat vote la création d’un Livret d’épargne souveraineté pour capter une partie des économies des ménages. Besoin de plus de 50 milliards d’euros pour financer les six nouveaux réacteurs nucléaires ? Le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations Eric Lombard propose de piocher dans l’épargne réglementée. Le gouvernement veut attirer des industries vertes en France ? Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire dégaine son « plan d’épargne avenir climat ».
« L’épargne a profité aux Français pendant des décennies pour faire face aux aléas, il faut maintenant qu’elle profite à la France comme nation qui veut se développer », résume Gérard Bekerman. « La question, c’est comment ? » tempère Ada Di Marzo. Pour financer la transition écologique par exemple, un effort chiffré par un récent rapport à 66 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an, « il y a un vrai enjeu de transformer l’offre de produits d’épargne » en proposant davantage que les seuls produits réglementés, explique Patrice Geoffron. « Je ne suis pas favorable à la création d’un Livret vert ou d’un Livret défense », réplique Eric Lombard auprès de l’AFP.
Réflexions sur la segmentation et le consentement des épargnants pour financer la transition énergétique.
Ces nouveaux produits « segmenteraient » l’épargne et « rendraient moins souple » son maniement. Restera aussi à trancher la question du consentement des épargnants.
« Le fait qu’il faut réduire l’empreinte carbone de l’humanité, je pense que c’est un sujet sur lequel plus personne ne débat », affirme Ada Di Marzo. Mais « le nucléaire, ça peut être très clivant », avertit-elle.
« C’est exactement pour ça que j’en ai parlé à l’Assemblée nationale » en janvier lors de l’audition préalable à sa reconduction à la direction générale de la Caisse des dépôts, réplique Eric Lombard. « Dans la diversité des groupes de l’Assemblée, il n’y a pas eu d’opposition à ma nomination. Si ça (le financement du nucléaire par l’épargne réglementée) avait été un chiffon rouge, peut-être qu’un groupe » aurait voté contre la reconduction, confie-t-il à l’AFP.
Même si les choix d’affectation de l’épargne relèvent de la puissance publique, « le mot que l’épargnant a quand même à dire, c’est de mettre son épargne ailleurs. C’est une force de rappel très puissante », conclut Patrice Geoffron.