Deep Fission a annoncé l’installation d’un réacteur nucléaire modulaire enterré de 15 MWe dans le parc industriel Great Plains à Parsons, Kansas. Le projet s’inscrit dans le Reactor Pilot Program du Department of Energy (DOE), un cadre accéléré visant à autoriser rapidement des réacteurs de démonstration sur des sites industriels. Le réacteur sera enfoui à 1,6 km de profondeur dans un forage de 30 pouces, avec un objectif de criticité fixé au 4 juillet 2026.
Une architecture basée sur le forage pétrolier et géothermique
Le modèle Gravity conçu par Deep Fission reprend une technologie de réacteur à eau pressurisée (PWR) classique, combinée à une installation souterraine en forage vertical. Le design utilise de l’uranium faiblement enrichi (LEU), un circuit vapeur non radioactif jusqu’à la surface et des composants standards issus des chaînes pétrolières et géothermiques. La colonne d’eau remplace partiellement l’enceinte de confinement, transférant une partie des fonctions de sûreté à la géologie.
Cette configuration permet de limiter les ouvrages de génie civil en surface et de réemployer des fournisseurs qualifiés hors du secteur nucléaire. L’objectif est de réduire à la fois les coûts d’investissement (CAPEX), les délais d’autorisation et les oppositions locales, en ciblant principalement les data centers et sites industriels fortement électro-intensifs.
Un foncier réaménagé pour les projets technologiques lourds
Le site choisi est l’ancien Kansas Army Ammunition Plant, reconverti en Great Plains Industrial Park, un hub logistique et énergétique de 6 800 acres avec 30 miles de voies ferrées. Le parc est déjà structuré autour des infrastructures lourdes et dispose de réseaux existants pour l’électricité et l’eau. Il propose une offre dédiée aux data centers, avec connectivité fibre et capacité électrique élevée.
Le projet bénéficie d’un cadre local favorable, soutenu par la Great Plains Development Authority, les autorités du comté de Labette et les institutions de formation technique. Ces acteurs visent la création d’emplois qualifiés et la valorisation du foncier, tout en renforçant leur positionnement dans les chaînes d’approvisionnement énergétiques.
Un dispositif juridique alternatif à la NRC
L’autorisation du projet est délivrée directement par le DOE dans le cadre d’un Other Transaction Agreement (OTA), un instrument contractuel flexible utilisé notamment pour la recherche militaire. Ce cadre permet de s’affranchir temporairement de la procédure de licence complète de la Nuclear Regulatory Commission (NRC), jugée trop lente pour des déploiements rapides.
Cette dérogation réglementaire crée un précédent qui pourrait structurer une nouvelle voie de développement pour les réacteurs nucléaires modulaires. Cependant, elle soulève aussi des risques juridiques, notamment sur l’acceptabilité du niveau de sûreté, la transparence contractuelle et les recours environnementaux. Plusieurs ONG et opposants locaux surveillent de près l’évolution du dossier.
Modèle économique et chaîne d’approvisionnement
Deep Fission a structuré son financement via un reverse merger avec Surfside Acquisition et un placement privé de 30 M$, assurant une valorisation rapide sur les marchés. Le modèle repose sur un déploiement en grappes de modules de 15 MWe, destinés à être implantés par séries sur des sites industriels ou logistiques. La société vise une mise en service six mois après forage, en s’appuyant sur une chaîne d’approvisionnement majoritairement américaine, incluant des acteurs pétroliers, géothermiques et électroniciens.
L’utilisation de composants standards réduit la dépendance aux fournisseurs spécialisés du nucléaire lourd, notamment pour les générateurs de vapeur et cuves de grande dimension. En cas de succès, le concept pourrait être répliqué sur d’autres friches industrielles ou anciennes infrastructures militaires.
Impact stratégique et perspectives d’exportation
Le projet s’aligne sur la stratégie fédérale américaine visant à quadrupler la capacité nucléaire à horizon 2050, tout en réduisant la dépendance aux technologies russes et chinoises. Le choix d’un combustible LEU évite les contraintes associées au combustible HALEU, sous sanctions internationales, et facilite la conformité aux règles de non-prolifération.
Le format enterré et modulaire, couplé à une procédure administrative allégée, pourrait représenter une alternative standardisée exportable vers les pays alliés, notamment ceux en reconversion industrielle ou en développement de hubs numériques. Le modèle est conçu pour s’adapter aux contraintes des sites sensibles, avec des usages possibles dans les infrastructures critiques.