La réforme du gaz de pétrole liquéfié (GPL) portée par l’Agência Nacional do Petróleo, Gás Natural e Biocombustíveis (ANP) s’attaque à l’un des marchés les plus concentrés du secteur énergétique brésilien. Petrobras fournit environ 89 % des volumes de GPL commercialisés dans le pays, dont une part croissante est importée. Cette domination est doublée d’un quasi-oligopole à la distribution, détenu par Copa Energia, Nacional Gás, Supergasbras et Ultragaz.
Un marché dominé par Petrobras et verrouillé par les bouteilles
L’élément central du contrôle réside dans la propriété des bouteilles P13, utilisées par plus de 90 % des foyers. Le droit exclusif de remplissage empêche les consommateurs de faire appel à un autre distributeur sans changer de bouteille, ce qui représente une barrière à la concurrence. La réforme envisagée par l’ANP remet en cause cette architecture en permettant le remplissage multi-marques sous réserve de traçabilité, ce qui soulève de fortes inquiétudes juridiques et sécuritaires du côté des distributeurs.
Les sociétés concernées invoquent des droits acquis sur un parc de plus de 130 millions de bouteilles, dont la gestion suppose des investissements élevés en inspection et maintenance. L’ouverture du remplissage pourrait ainsi être perçue comme une expropriation réglementaire, ce qui laisse entrevoir des recours devant les juridictions administratives et constitutionnelles.
Une pression sociale et budgétaire croissante
Le programme Gás do Povo, lancé par le gouvernement pour subventionner l’achat de GPL pour les ménages à bas revenus, vient amplifier la tension autour de la réforme. Financé par le budget fédéral, il vise à remplacer l’utilisation du bois, encore majoritaire dans certaines zones rurales, par le GPL. La soutenabilité de ce programme dépend fortement du prix unitaire du botijão, qui reste élevé malgré la baisse des cours internationaux du propane.
Les marges réalisées par les distributeurs dans certaines régions comme le Nordeste, où le réseau de distribution est peu contesté, sont au cœur des critiques. L’ANP cherche à introduire plus de transparence dans les coûts et à permettre l’entrée de nouveaux acteurs via des assouplissements réglementaires.
Traçabilité, géopolitique et diversification des flux
Dans un contexte international marqué par les sanctions sur certains carburants russes et vénézuéliens, le Brésil met en place un système de traçabilité des cargaisons de GPL importées. La majorité des volumes additionnels proviennent des États-Unis, puis de l’Argentine. Les terminaux d’importation de Suape et Pecém, portés par les distributeurs, sont conçus pour réduire la dépendance à Petrobras, mais risquent de perdre leur autonomie si le géant public reprend le contrôle logistique via des contrats de location.
La montée en puissance du complexe Boaventura, intégré à la raffinerie Reduc, permet à Petrobras d’augmenter sa production domestique de GPL. Ce surplus est destiné à alimenter des usages industriels décentralisés comme les chaudières ou les groupes électrogènes, dans des régions non raccordées au réseau de gaz.
Investissements incertains et arbitrage réglementaire
Les perspectives de retour sur investissement des distributeurs sont remises en question par l’absence de clarté réglementaire. Les projets logistiques initiés ces dernières années pourraient être réorientés vers des usages locatifs peu rentables si le pouvoir de marché de Petrobras se renforce.
Les entreprises concernées devront adapter leur modèle économique, en misant sur la sécurité, la qualité de service et des offres packagées pour les industriels, plutôt que sur la marge brute sur le produit. À court terme, les investissements dans la modernisation du parc de bouteilles et des entrepôts seront suspendus, en attente du texte final de la réforme.