L’Inde exploite aujourd’hui 23 réacteurs nucléaires totalisant environ 7,5 gigawatts (GW) de capacité installée, soit une part modeste d’environ 3 % dans son mix électrique dominé par le charbon. Cette base limitée ne reflète pas l’ampleur des ambitions affichées par New Delhi, qui cherche à faire du nucléaire un pilier de son développement énergétique et industriel. Pour y parvenir, le pays a engagé la construction de plusieurs nouvelles unités et multiplie les partenariats technologiques.
Des chantiers actifs sur plusieurs sites stratégiques
Le parc indien est en cours d’expansion avec entre huit et onze réacteurs en construction représentant de 6,6 à 8,7 GW supplémentaires. Parmi eux, Kudankulam, dans l’État du Tamil Nadu, constitue la vitrine de la coopération indo-russe. Les unités 3 à 6 y sont basées sur la technologie VVER-1000 de Rosatom. Dans l’Haryana, le projet de Gorakhpur (GHAVP) prévoit à terme quatre unités de 700 mégawatts (MW), dont deux sont déjà en chantier. Dans le Karnataka, les réacteurs Kaiga 5 et 6, également de 700 MW chacun, sont destinés à renforcer la production domestique. À Kalpakkam, le Prototype Fast Breeder Reactor (PFBR) de 500 MW, développé par l’Indira Gandhi Centre for Atomic Research (IGCAR) et l’opérateur Bharatiya Nabhikiya Vidyut Nigam Limited (BHAVINI), illustre la volonté du pays d’avancer vers une filière rapide au sodium.
Une montée en puissance coordonnée par les acteurs publics
La Nuclear Power Corporation of India Limited (NPCIL) demeure l’opérateur central et pilote la majorité des projets en cours. Elle coopère désormais avec la National Thermal Power Corporation (NTPC) au sein de la coentreprise ASHVINI, qui développe notamment le site de Mahi Banswara au Rajasthan. Ce projet de 2,8 GW, reposant sur quatre réacteurs de conception indienne, représente une étape décisive dans la stratégie nationale. Ces nouveaux chantiers s’inscrivent dans une trajectoire plus large qui vise une multiplication par deux de la capacité installée d’ici la prochaine décennie.
Des partenariats internationaux décisifs
L’Inde ne limite pas son expansion à des partenariats domestiques. Le projet de Jaitapur, situé dans le Maharashtra, est mené avec EDF et repose sur six réacteurs pressurisés européens (EPR) de 1 730 MW chacun. Si le calendrier reste soumis à des autorisations administratives, ce chantier pourrait à lui seul ajouter plus de 10 GW de capacité et repositionner le pays dans le classement mondial. L’appui russe à Kudankulam et les perspectives françaises à Jaitapur renforcent la dimension internationale d’un programme jusqu’ici dominé par l’ingénierie locale.
Un repositionnement dans la hiérarchie mondiale
Avec une puissance installée qui atteindrait environ 15 GW à l’issue des chantiers en cours, l’Inde dépasserait plusieurs pays mais resterait derrière le Japon et la Russie. Toutefois, la mise en œuvre de Jaitapur, combinée aux autres projets planifiés, pourrait porter sa capacité totale au-delà de 25 GW dans les années 2030. Une telle progression permettrait au pays de dépasser le Japon et de rejoindre le top 5 mondial aux côtés des États-Unis, de la France, de la Chine et de la Russie. Cette perspective souligne l’importance stratégique accordée au nucléaire par New Delhi pour répondre à sa demande croissante d’électricité et renforcer son autonomie technologique.
Un enjeu industriel et stratégique de long terme
La feuille de route indienne implique également une diversification des acteurs. Plusieurs groupes privés, dont Tata Power et Reliance, se positionnent déjà sur les petits réacteurs modulaires (SMR), anticipant un élargissement du rôle du secteur privé dans le nucléaire. Les discussions politiques sur un assouplissement des règles de participation témoignent d’une volonté d’attirer des financements complémentaires. Dans ce contexte, le nucléaire apparaît comme un levier stratégique non seulement pour la sécurité énergétique du pays, mais aussi pour son industrie et ses partenariats internationaux. Les évolutions à venir détermineront la vitesse à laquelle l’Inde peut transformer cette ambition en réalité industrielle et peser davantage dans la hiérarchie mondiale du secteur.