Après des années de croissance constante, les investissements climatiques en Europe connaissent aujourd’hui une stagnation préoccupante. En 2023, les fonds publics et privés consacrés au climat dans l’Union européenne (UE) n’ont atteint que 498 milliards d’euros, contre 491 milliards l’année précédente, marquant une hausse marginale. Cette stagnation survient alors que les objectifs fixés pour 2030 exigent une mobilisation annuelle estimée à environ 842 milliards d’euros. Ainsi, un déficit persistant compromet la trajectoire vers la neutralité carbone à horizon 2050.
Un décalage alarmant entre objectifs et réalité financière
L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) révèle que cette stagnation pourrait se transformer en recul dès 2024. Jean Pisani-Ferry, président de l’I4CE, pointe un contraste net entre les engagements politiques ambitieux et leur réalisation concrète. Les secteurs particulièrement touchés par ce retard sont l’éolien et la rénovation énergétique des bâtiments anciens. En revanche, le solaire et les constructions neuves respectent davantage les trajectoires prévues.
Les besoins supplémentaires en investissements verts estimés par la Commission européenne s’élèvent à 477 milliards d’euros par an jusqu’en 2030, soit 3,2 % du PIB européen de 2023. Ce montant porterait l’effort total requis à environ 1 200 milliards d’euros par an. Ce chiffre inclut notamment les investissements dans les infrastructures de transport, la décarbonation énergétique et l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments.
Le rôle central mais complexe du secteur privé
Dans ce contexte, le secteur privé joue un rôle majeur, bien qu’encore insuffisamment mobilisé. Les banques, qui fournissent 60 % des financements aux entreprises européennes, sont incontournables dans cette dynamique. Cependant, elles intègrent désormais les risques climatiques dans leurs conditions de prêt, ce qui conduit à une sélectivité accrue. Les entreprises présentant des plans de transition crédibles obtiennent des taux préférentiels, tandis que celles jugées à risque se voient appliquer des primes dissuasives.
Le marché financier, via les obligations vertes et les fonds privés spécialisés, reste quant à lui limité à environ 7 % du marché total européen de la dette. Malgré un engouement initial, ces marchés peinent à croître significativement, freiné notamment par l’incertitude autour du rendement des investissements verts et la complexité des normes réglementaires.
La réponse institutionnelle européenne: nouveaux fonds et mécanismes
Face à ces difficultés, l’Union européenne a lancé des instruments innovants, comme le Green Private Credit, géré par le Fonds européen d’investissement (FEI). Doté d’un objectif initial de 200 millions d’euros, ce fonds vise à mobiliser plusieurs milliards d’euros de financements verts pour les PME européennes via un réseau de fonds de crédit privés. Soutenu par des investisseurs institutionnels majeurs tels que BPCE Assurances, MACIF ou encore Mutuelle Médicis, il entend stimuler directement la décarbonation des petites et moyennes entreprises.
Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI), estime que ce mécanisme est crucial pour attirer le capital privé nécessaire au financement de la transition climatique, tout en participant à la construction d’un marché européen intégré du crédit privé.
Un soutien public essentiel mais insuffisant à terme
Les financements publics européens, notamment à travers le dispositif Next Generation EU (NGEU) et le Mécanisme pour la reprise et la résilience (MRR), totalisent plus de 658 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Toutefois, l’utilisation réelle des fonds reste lente, seulement 20 % des enveloppes climatiques ayant été décaissées à mi-parcours. L’absorption limitée s’explique principalement par la complexité administrative et les critères stricts de performance exigés.
De surcroît, le MRR, pilier central du financement climatique européen, expirera fin 2026. La Banque centrale européenne (BCE) prévoit alors une augmentation significative du déficit de financement public, estimée à 20 milliards d’euros annuels supplémentaires dès 2027, réduisant potentiellement l’effet de levier des fonds publics sur l’investissement privé.
Obstacles majeurs: manque de compétences et complexité réglementaire
Par ailleurs, une étude conjointe de l’Office européen des brevets (OEB) et de la BEI souligne des freins structurels persistants. Près de 30 % des entreprises du secteur des technologies propres citent la difficulté d’accès au financement comme obstacle majeur, contre seulement 15 % des entreprises traditionnelles. Le manque de personnel qualifié en technologies vertes et la complexité réglementaire constituent d’autres défis cruciaux. Pour répondre à ces contraintes, des réformes structurelles urgentes s’imposent, notamment en matière de formation et de simplification réglementaire.
Taxation carbone: une nécessité incontournable mais complexe
La taxation carbone est identifiée comme un levier essentiel pour stimuler les investissements verts. L’UE dispose déjà du système européen d’échange de quotas d’émission (EU ETS), dont l’efficacité reste toutefois limitée par un prix du carbone encore inférieur aux objectifs. Dès 2027, un nouveau mécanisme ETS2 intégrera les secteurs des transports et du chauffage résidentiel, promettant d’accroître sensiblement l’efficacité du dispositif. Néanmoins, des États membres appliquent encore des taux très variables, rendant nécessaire une harmonisation accrue.
Intégration des marchés de capitaux: la clé d’une dynamique durable
Enfin, le renforcement de l’Union des marchés de capitaux (UMC) apparaît indispensable pour accélérer le financement vert. Une meilleure intégration des marchés financiers européens permettrait de mobiliser davantage les fonds privés nécessaires aux innovations technologiques et aux projets risqués liés à la transition climatique. L’accès au capital-risque reste limité en Europe, freinant la croissance des entreprises innovantes en technologies durables, ce qui nécessite une action concertée au niveau européen.
Le paysage financier européen, bien que doté d’atouts significatifs, se trouve aujourd’hui face à un défi majeur: concilier urgence climatique et pragmatisme financier dans un contexte de stagnation inquiétante des investissements. Cette situation pousse les acteurs publics et privés à innover constamment pour trouver de nouveaux leviers financiers et réglementaires, condition indispensable pour atteindre les objectifs climatiques ambitieux fixés par l’Union européenne.