La Commission européenne pousse les opérateurs énergétiques à invoquer la force majeure pour résilier leurs contrats d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) russe, alors que le 19ᵉ paquet de sanctions prévoit une sortie complète d’ici à 2027-2028. Ce positionnement ouvre une brèche juridique contestable, car la validité de cette clause dépend largement du droit applicable et des conditions contractuelles spécifiques à chaque accord.
Risque juridique accru pour les acheteurs européens
Des entreprises telles que TotalEnergies, Naturgy ou SEFE – Securing Energy for Europe – détiennent encore près de 10,4 Mt/an de contrats avec Yamal LNG, contrepartie russe dont les intérêts sont directement visés par les sanctions. La Commission soutient que les nouvelles interdictions constituent des actes souverains imprévisibles, mais les arbitres devront déterminer si cette qualification suffit à caractériser une impossibilité d’exécution au sens contractuel.
Dans les contrats régis par le droit anglais, la force majeure est purement contractuelle et doit répondre à des critères précis d’imprévisibilité et d’impossibilité. En revanche, dans certains systèmes de droit civil comme les Pays-Bas, une base légale existe, permettant une lecture plus souple des événements extérieurs comme les sanctions.
Conséquences opérationnelles en chaîne dans l’UE
Le retrait anticipé du GNL russe perturberait les chaînes d’approvisionnement en Europe, notamment dans les terminaux de Zeebrugge, Montoir ou Bilbao, utilisés comme hubs de transit. Une force majeure invoquée en amont ne se répercute pas nécessairement dans les contrats aval, sauf si la source moléculaire est spécifiée, ce qui expose les opérateurs à des litiges croisés.
Les clauses de service, de stockage et d’interconnexion signées avec les gestionnaires de réseaux pourraient également faire l’objet de renégociations, en particulier celles relatives à la traçabilité et à l’origine du gaz. À mesure que les flux russes disparaissent, la dépendance aux fournisseurs alternatifs (États-Unis, Qatar, Algérie) s’intensifiera.
Incitations politiques et pression réglementaire
La décision d’intégrer la force majeure dans les textes législatifs européens vise aussi à alléger la responsabilité contractuelle des entreprises. En Allemagne, les autorités ont confirmé que le 19ᵉ paquet permettait à SEFE de se désengager des flux russes sans encourir de pénalités majeures, une approche qui pourrait inspirer d’autres gouvernements.
Bruxelles entend verrouiller cette politique dans un cadre irréversible, même en cas de cessez-le-feu, en empêchant tout retour opportuniste au gaz russe. Ce verrouillage juridique envoie un signal fort aux investisseurs internationaux sur la stabilité des engagements européens en matière d’approvisionnement énergétique.
Vers une fragmentation des décisions arbitrales
La diversité des droits applicables et des sièges d’arbitrage laisse présager une multitude de décisions juridiques divergentes. Les litiges pourraient se multiplier, notamment pour les contrats qui ne prévoient pas de clause de résiliation automatique après une durée prolongée de force majeure.
La majorité des litiges liés à des sanctions antérieures ont été réglés de manière confidentielle, mais dans le contexte actuel, les perspectives de règlement transactionnel sont limitées par la volonté politique de couper définitivement les liens énergétiques avec la Russie. Plusieurs États membres pourraient toutefois promouvoir des modèles standard de sortie pour les expositions les plus sensibles.