La dissolution de l’Assemblée nationale plonge le secteur de l’énergie dans l’incertitude. La feuille de route décennale pour le développement des énergies renouvelables, attendue depuis des mois, risque de nouveaux retards considérables. « On est dans une instabilité complète, alors qu’on a besoin de sécurité juridique et de visibilité. Et on va en payer cher le prix », alerte Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Selon lui, le gouvernement a « tergiverse depuis des mois » sur cette programmation cruciale. C’est en partie pourquoi les enjeux climatiques se sont retrouvés au cœur de cette campagne.
Le ministère de l’Énergie indique qu’une concertation publique en ligne se tiendra « en juillet ». Mais M. Nyssen craint que cette feuille de route ne puisse pas être adoptée avant les élections législatives du 30 juin. « Aujourd’hui, on rebat les cartes, le gouvernement futur va pouvoir refaire ses choix », poursuit-il, déplorant que l’exécutif sortant ait « fait traîner le sujet ».
Contrats EDF et hydrogène en suspens
Les contrats de vente d’électricité nucléaire d’EDF à de gros clients industriels, une étape cruciale pour l’avenir de l’électricien public très endetté, sont également suspendus. Une étape réglementaire clé était prévue en juin sous l’égide du ministre de l’Industrie.
À l’Uniden, le lobby des industriels énergivores, on « souhaite que cette période d’instabilité ne pose pas de problème » au processus. Seuls 4 contrats sur un total de plusieurs dizaines ont été signés à ce jour.
La stratégie révisée pour soutenir l’essor de l’hydrogène décarboné, censée apporter un cadre aux investisseurs, est aussi repoussée. « Depuis un an, la filière attend », déplore Mika Blugeon-Mered, spécialiste des marchés hydrogène à Sciences Po. L’hydrogène vert est considéré comme un vecteur prometteur pour décarboner les industries lourdes comme la sidérurgie.
Menaces sur la transition énergétique
Au-delà de ces blocages administratifs, c’est la trajectoire même de la transition énergétique française qui semble menacée par la poussée de l’extrême droite aux élections européennes. Marine Le Pen, arrivée en tête, avait promu lors de la présidentielle un programme volontariste pour le nucléaire mais fermant la porte aux énergies renouvelables.
Elle prônait une vingtaine de nouveaux réacteurs EPR, dont dix d’ici 2031, un pari jugé irréaliste même par les industriels. Dans le même temps, son parti défendait un moratoire sur l’éolien terrestre, voire un « démantèlement progressif » des parcs existants, une proposition qui « vrille les yeux et le cerveau » selon le député RN Pierre Meurin lors des débats parlementaires en 2023.
Un refus aussi franc des énergies renouvelables se heurte à tous les scénarios de transition énergétique. Qu’ils misent sur le nucléaire ou non, les experts soulignent l’impérative nécessité de développer l’éolien et le solaire si la France veut respecter ses engagements de neutralité carbone.
Appel à la raison économique
Face aux risques de blocage, des voix s’élèvent pour réaffirmer les réalités économiques du secteur. « Les lois de l’économie et de l’énergie vont finir par rattraper les responsables politiques », prédit le patron d’un fournisseur d’électricité renouvelable. « On aura besoin de plus d’énergie pas chère. Construire du nucléaire nécessite 10-15 ans. Que fait-on en attendant ? Et comment attirer des usines de batteries si on refuse les véhicules électriques? », s’interroge-t-il sous couvert d’anonymat.
Jules Nyssen, lui, veut croire que le débat énergétique pourra se tenir sur le fond pendant la campagne. « Nos concitoyens sont préoccupés par le changement climatique, la souveraineté énergétique et la réindustrialisation. Sur ces trois sujets, les renouvelables ont des réponses à apporter », plaide-t-il. L’enjeu pour sa filière sera de bien le rappeler « pour éviter une campagne uniquement axée sur les peurs ».