Une juge d’instruction de Marseille mène des investigations autour de soupçons d’”obstacle au contrôle des enquêteurs” et “mise en danger d’autrui”, après les accusations d’un ancien cadre d’EDF.
Enquête sur des soupçons de dissimulation d’incidents
Une information judiciaire contre X a été ouverte récemment au Pôle de santé publique de Marseille. Elle vise une douzaine d’infractions au Code pénal et au Code de l’environnement.
Parmi elles, “non-déclaration d’incident ou d’accident”, “harcèlement moral”, ou encore “mise en danger d’autrui”. Sont aussi mentionnés, “faux et usage de faux” et “obstacle au contrôle des inspecteurs de la sûreté nucléaires”. Enfin, l’accusiation porte aussi sur le“déversement dans l’eau par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence d’une substance entraînant des effets nuisibles”.
Le parquet de Marseille a confirmé à l’AFP l’existence de cette information judiciaire.
Une plainte déposée en 2021
Dans un contexte de débat sur la place du nucléaire en France qu’Emmanuel Macron souhaite accroître, “Hugo” (prénom d’emprunt), un ancien cadre de la centrale qui sollicite depuis le statut de lanceur d’alerte, avait déposé une simple plainte en octobre 2021 contre EDF et des membres de sa hiérarchie. Ils les accusent de l’avoir placardisé pour avoir dénoncé une “politique de dissimulation” d’incidents de sûreté ces dernières années.
D’après sa plainte, diverses anomalies, comme une surpuissance du réacteur n°1 en juin 2017 ou encore une inondation interne le 29 août 2018 sur la tranche n°3, n’auraient pas été déclarées à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ou l’auraient été de façon à “minimiser les événements”.
Confier d’emblée les investigations à une juge d’instruction “traduit l’extrême gravité des faits dénoncés par notre client. Ce dernier avait alerté en vain son employeur et averti le ministère de l’Ecologie, selon ses avocats, Vincent Brengarth et William Bourdon.
“L’ouverture d’une information judiciaire pour de telles qualifications, à l’encontre d’un opérateur économique de premier plan, constitue une décision exceptionnelle”, estiment-ils.
Entré à EDF en 2004, Hugo devient chef de service à Tricastin en septembre 2016. Mais rapidement, selon sa plainte, le climat se révèle “particulièrement tendu, dans la perspective de la visite décennale”. Cette visite est une étape déterminante pour obtenir l’autorisation de poursuivre l’exploitation au-delà de quarante ans.
“Un certain nombre d’incidents au sein de la centrale ont eu lieu, contribuant à la dégradation des relations” entre Hugo et son supérieur hiérarchique, selon la plainte.
Aujourd’hui en attente d’affectation, Hugo se dit toujours “passionné par le nucléaire”.
“Ce combat a renforcé ma volonté de me battre pour la sûreté des installations, qui concourt directement à la protection des populations et de la planète”, estime-t-il.
Sollicité par l’AFP, EDF n’a pas souhaité faire de commentaires.
EDF en difficultés
L’ASN n’a cependant, pas réagi dans l’immédiat mais en novembre, Christophe Quintin, inspecteur en chef de l’ASN, avait affirmé à l’AFP que les inspections à la centrale du Tricastin n’avaient
“pas amené à constater d’événements qui auraient été masqués”.
Selon lui, il pouvait y avoir “un arbitrage interne à la centrale” sur les déclarations d’incident. La centrale nucléaire du Tricastin, mise en service en 1980 et 1981, est l’une des plus anciennes de France.
De plus, l’ouverture de cette enquête intervient alors qu’EDF fait face à des problèmes de corrosion de son parc nucléaire. De ce fait, 12 réacteurs sur 56 sont à l’arrêt pour un phénomène de “corrosion sous contrainte” (CSC) avérée ou soupçonnée. Ces informations proviennent du dernier point de situation détaillé par le groupe le 19 mai dernier.
Ces difficultés qui grèvent la situation financière de l’entreprise, tombent mal. Le groupe fait face à toute une série de défis cruciaux pour son avenir. Ils consistent à assurer la transition environnementale et la souveraineté énergétique de la France. La question de la souveraineté énergétique revient au premier plan avec la guerre en Ukraine.
Néanmoins, l’exécutif compte en effet sur EDF pour assurer la construction de six nouveaux réacteurs EPR. S’ajoute à cela, la prolongation du parc existant et le développement des énergies renouvelables.
En février 2021, l’ASN a ouvert la voie à la poursuite de l’exploitation des plus vieux réacteurs, dont ceux de Tricastin, au-delà de quarante ans. Cela enjoint EDF à réaliser des travaux pour améliorer leur sûreté.