L’American Jobs Plan : $2000 milliards pour remédier à l’égarement des États-Unis dans le leadership mondial sur le nucléaire. Pour cela, le président Biden compte gagner la bataille technologique des réacteurs avancés, tout en assurant la décarbonation de l’économie Américaine d’ici à 2050.
L’American Jobs Plan pour relancer l’industrie vieillissante du nucléaire américain
Le plan pour les infrastructures dévoilé en mars 2021 fait du nucléaire un élément central de la stratégie bas-carbone des États-Unis. Pour la filière nucléaire, il s’agit d’une bonne nouvelle après plus d’une décennie de stagnation voir de régression du secteur. 12 réacteurs ont ainsi été mis à l’arrêt depuis 2010 et une dizaine devraient suivre dès 2025.
En outre, hormis la centrale de Vogtle en Géorgie, aucun réacteur ne se trouve pour l’heure en construction. Cela confère aux États-Unis le record de détenir le plus vieux parc au monde avec 40 ans de moyenne d’âge. Ces difficultés s’expliquent principalement par le manque de compétitivité du nucléaire face au gaz de schiste américain. Surtout, le nucléaire a vu ses coûts augmenter suite au renforcement des mesures de sécurité après l’accident de Fukushima.
Aucune exportation de réacteurs depuis 2007
La filière nucléaire Américaine se trouve également dans l’incapacité d’exporter ses réacteurs depuis plus de 10 ans. Westinghouse a ainsi exporté son dernier réacteur Américain, un AP-1000, en 2007 à la Chine. En conséquence, les États-Unis connaissent un affaiblissement durable de leur leadership en matière de non-prolifération nucléaire.
En effet, ce sont les compagnies Russes et Chinoises qui aujourd’hui gagnent les contrats d’exportation. Le Russe Rosatom a ainsi gagné 23 des 31 contrats de construction de réacteurs dans le monde depuis 2010. Or, ces contrats se réalisent avec l’établissement de standards de non-prolifération moins élevés qu’aux États-Unis, créant des problèmes de sécurité. Cette question de la non-prolifération est prise très au sérieux à Washington, d’où le soutien affiché à la filière nucléaire.
Biden mise tout de même sur le nucléaire
En plus des questions de non-prolifération, le soutien à la filière nucléaire repose sur la dimension bas-carbone de cette énergie. Rappelons que le président Américain a annoncé un objectif ambitieux de décarbonation du secteur électrique à partir de 2035. À cela s’ajoute la volonté de décarboner totalement l’économie Américaine à l’horizon 2050.
Aujourd’hui, le nucléaire représente 20 % de la production d’électricité du pays, dont 55 % de l’électricité bas-carbone. Autant dire qu’il s’agit d’une énergie clé dans le programme « Build Back Better » du président Biden conçu pour réduire les risques aux chocs énergétiques et sociaux futurs.
Le nucléaire possède également l’avantage d’avoir un taux élevé de facteur de charge, quasiment 92 %. En cela, le nucléaire se montre beaucoup plus compétitif que les énergies renouvelables à la production intermittente.
Construire des SMR et des micro-réacteurs
Cependant, l’administration Biden considère que seuls les réacteurs avancés doivent être construits d’ici 2050. On désigne comme réacteurs avancés les petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR) ainsi que les micro-réacteurs pouvant être transportés par camion. Dans son plan pour les infrastructures, le président Américain a annoncé l’objectif de mener le monde sur ces technologies.
35 milliards de dollars d’investissements dans les technologies bas-carbone
Ainsi, le plan prévoit près de 35 milliards d’investissement public dans un panel de technologies bas-carbone. Parmi ces 35 milliards, près de 15 milliards serviront à financer des projets pilotes dont plusieurs dans les réacteurs avancés. À cela s’ajoutent 46 milliards d’investissement servant à subventionner en partie l’électricité nucléaire par l’achat direct d’électricité par l’État fédéral.
Faire des États-Unis la puissance nucléaire de demain
À travers son American Jobs Plan, Biden compte ainsi faire des États-Unis le leader des technologies de réacteurs avancés. Ces réacteurs permettent en effet de réduire le coût des travaux d’ingénierie civile représentant actuellement l’essentiel des dépenses d’un réacteur. Leur format modulaire leur donne également un avantage dans les usages décentralisés et notamment la décarbonation de certaines industries énergivores.
C’est pourquoi le Département de l’énergie (DoE US) a lancé ses programmes GAIN et ARDP afin de financer la R&D. Aujourd’hui, le pays se trouve en pointe dans ce secteur à travers le projet NuScale de l’Idaho National Laboratory (DoE US). Dotés de 12 unités de 60 MW chacun, ce projet est bien parti pour s’imposer comme la référence du secteur.
La concurrence Chinoise et Russe
Pour les États-Unis, la difficulté sera de s’imposer au niveau international dans un environnement très concurrentiel sur ces technologies. La Russie a ainsi lancé son SMR via une barge flottante, l’Akademik Lomonossov, afin d’alimenter des régions reculées de Sibérie. Elle compte également lancer un second prototype de 55 MW dans la seconde moitié des années 2020.
Mais ce sont surtout les acteurs Chinois qui préoccupent les autorités Américaines. CGN a ainsi dévoilé son réacteur avancé, l’ACPR50, à usage maritime comme dans le cas de la Russie. CNNC a, elle, produit un SMR, le ACP100, d’une plus grosse capacité et servant à alimenter certains complexes industriels.
À travers le plan pour les infrastructures, les États-Unis se positionnent donc fortement sur l’énergie nucléaire. Possédant le plus grand parc mondial, le pays ne peut se passer de cette énergie dans ses ambitions de décarbonation. Surtout, le président Biden compte gagner la bataille technologique des réacteurs avancés après avoir perdu celle des réacteurs conventionnels. En cela, le nucléaire reste plus que jamais un enjeu central dans la rivalité technologique sino-américaine.