Les exportations indiennes de modules photovoltaïques ont chuté à leur plus bas niveau annuel en septembre, atteignant environ $80mn, selon les données commerciales. Cette baisse brutale de 40 % par rapport à août fait suite à l’imposition de droits de douane par les États-Unis totalisant environ 50 %, combinant mesures antidumping (AD) et compensatoires (CVD).
Le rôle central de Washington dans l’encadrement du commerce PV
Le Department of Commerce (DoC) américain a ouvert une enquête officielle contre les importations solaires originaires d’Inde, d’Indonésie et du Laos. L’initiative est portée par une coalition de fabricants nationaux estimant que ces pays bénéficient de subventions publiques massives et pratiquent des prix de dumping. En parallèle, la US International Trade Commission (USITC) évalue si ces pratiques nuisent à l’industrie solaire américaine.
La décision récente de la US Court of International Trade (CIT) d’invalider le moratoire présidentiel suspendant la collecte de droits AD/CVD pour plusieurs pays de l’ASEAN a également renforcé le climat de méfiance à l’encontre des exportations solaires asiatiques. Ces mesures sont soutenues par le Customs and Border Protection (CBP), qui applique des critères stricts de traçabilité sur l’origine des intrants, notamment en lien avec le travail forcé dans la région du Xinjiang.
Une industrie indienne fortement dépendante de l’export américain
Jusqu’à 99 % des modules solaires exportés par l’Inde en 2024 étaient destinés aux États-Unis, selon les chiffres des douanes indiennes. Cette concentration extrême sur un seul débouché rend l’industrie vulnérable aux changements réglementaires à l’export. Des entreprises comme Waaree Energies, Adani Solar ou Vikram Solar sont particulièrement exposées, alors même que leurs chaînes d’approvisionnement restent partiellement dépendantes de composants chinois.
La multiplication des enquêtes américaines, notamment sur l’évasion présumée de droits via l’utilisation de cellules chinoises, affaiblit la crédibilité des exportateurs indiens auprès des acheteurs occidentaux. Ce climat de méfiance pourrait rejaillir sur l’ensemble des fabricants du pays, compromettant leurs perspectives de financement et leurs contrats à long terme.
Une surcapacité nationale qui accentue les tensions sur le marché intérieur
L’Inde a installé plus de 100 GW de capacités de production de modules, avec des prévisions atteignant 165 GW d’ici 2027. Or, les installations solaires annuelles demeurent inférieures aux 45 GW nécessaires pour respecter les engagements 2030. L’incapacité du marché domestique à absorber les volumes initialement destinés à l’export accentue les risques de guerre des prix et de consolidation forcée.
Plusieurs acteurs de taille intermédiaire envisagent de réduire leur activité sur le segment module pour se repositionner sur les cellules ou wafers, segments jugés moins exposés aux fluctuations tarifaires. Les créanciers indiens, de leur côté, adoptent une posture plus prudente vis-à-vis des projets solaires non intégrés.
Conséquences globales sur les flux commerciaux et la chaîne de valeur PV
La fermeture partielle du marché américain aux modules indiens redessine les routes commerciales. Les expéditions vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique augmentent, mais les prix FOB pratiqués sur ces marchés sont nettement inférieurs, ce qui pèse sur les marges des exportateurs.
À l’échelle mondiale, la redistribution des volumes crée des tensions sur les prix. Alors que les tarifs CIF aux États-Unis restent soutenus, les prix FOB en Inde enregistrent une pression baissière continue. Des analystes évoquent un risque de « price shock » mondial centré sur l’Inde si la capacité excédentaire ne trouve pas de débouchés alternatifs viables.
Un enjeu géopolitique entre relocalisation industrielle et souveraineté énergétique
L’administration américaine cherche à sécuriser les investissements réalisés dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA) tout en consolidant une filière solaire indépendante de la Chine. Dans ce contexte, l’Inde n’est plus perçue comme un partenaire prioritaire mais comme un relais potentiel de composants chinois.
New Delhi pourrait devoir repositionner sa stratégie industrielle autour de marchés tiers, tout en renforçant ses dispositifs de traçabilité. Les prochaines décisions du Department of Commerce et de l’USITC seront déterminantes pour l’avenir des exportateurs indiens sur le marché américain.