Malgré un prix de l’essence record aux Etats-Unis, les raffineries américaines ne parviennent pas à rattraper la demande, faute de capacités suffisantes, après une série de fermetures ces dernières années, contribuant à la flambée du carburant.
La semaine dernière, le taux d’utilisation des raffineries aux Etats-Unis est monté à 93,2%, le plus élevé depuis décembre 2019, rompant avec la tradition d’un mois de mai habituellement dédié à la maintenance, avec une utilisation limitée des installations.
Les réserves baissent, les prix flambent
Pour autant, les réserves américaines d’essence ont encore baissé, à un niveau plus vu à cette époque de l’année depuis huit ans, alors que ce week-end, férié aux Etats-Unis (Memorial Day), marque le début de la grande saison des déplacements routiers. “On va à la faillite” du système, prévient Robert Yawger, analyste de Mizuho Securities.
“Le manque de capacité de transformation” du pétrole en carburant, qui s’ajoute au décollage des prix du brut, “a fait massivement grimper les prix du raffinage (…) ces derniers mois et mené à des prix records pour l’essence et le gasoil”, selon le cabinet Eurasia Group.
Le tarif de l’essence enchaîne les sommets historiques aux Etats-Unis, en hausse de plus de 70% sur un an. Les analystes de JP Morgan Chase le voient même s’envoler encore de plus de 30% durant l’été, à plus de 6 dollars le gallon (3,78 litres).
Le nombre de raffineries diminue
Le nombre de raffineries en activité a chuté de 13% en dix ans et est aujourd’hui le plus faible de l’ère moderne. Outre les fermetures planifiées, il faut ajouter l’explosion de la raffinerie PES de Philadelphie, la plus importante installation du nord-est des Etats-Unis, en juin 2019. Ainsi, le site a définitivement fermé.
“C’est un sujet de préoccupation croissante aux Etats-Unis, parce qu’on a perdu plus d’un million de barils par jour de capacité en un an”, selon Andy Lipow, de Lipow Oil Associates.
Aux premiers mois de la pandémie, certains sites avaient été fermés pour s’ajuster au ralentissement de la demande, mais tous n’ont pas été remis en service depuis, comme celui de Gallup (Nouveau-Mexique), propriété de Marathon Petroleum.
La plupart des grands raffineurs ont initié la conversion de certains de leurs équipements pour produire du biocarburant, ce qui entraîne la suspension temporaire de leurs activités.
Et dans le cas de HollyFrontier, la transition vers le carburant renouvelable a, par exemple, fait passer la capacité de son installation de Cheyenne (Wyoming), de 52.000 à 6.000 barils par jour.
“Ça sent mauvais”
La guerre en Ukraine accroît les tensions structurelles. L’Occident se détourne de la Russie, grand pourvoyeur de produits raffinés, en particulier du gasoil.
Cette situation a entraîné une demande accrue à l’export pour le carburant produit aux Etats-Unis, et déséquilibré encore un peu plus le rapport entre offre et demande.
“Vous pourriez reconstituer des capacités dans le nord-est (…), mais ce sont des investissements qu’il faudrait rentabiliser sur 10 ou 20 ans”, avance Richard Sweeney, professeur d’économie de l’environnement au Boston College.
“Or, la tendance générale est celle d’une industrie en déclin.” “Une raffinerie prend cinq ou six ans à construire, (…) sachant que la demande pour vos produits va probablement aller décroissante”, abonde Bill O’Grady, de Confluence Investment Management, “donc il y a très peu d’incitation à investir”.
Beaucoup des grands raffineurs américains ont d’ailleurs choisi de consacrer une part significative de leurs profits actuels à des rachats d’actions et au versement de dividendes plutôt qu’à des investissements massifs.
La dernière ouverture d’une raffinerie majeure aux Etats-Unis remonte à 1977, et seuls cinq nouveaux sites ont été inaugurés ces vingt dernières années. “Ce qui complique encore le problème, c’est qu’aucune collectivité ne veut de raffinerie” sur son territoire, souligne Bill O’Grady. “C’est sale, ça peut exploser, ça sent mauvais.”
“Les gouvernements essayent de devenir plus responsables sur le plan environnemental et dissuadent l’investissement dans le raffinage (…) mais on se retrouve avec une pénurie de capacités”, fait valoir Phil Flynn de Price Futures Group.
Pour lui, “il va falloir qu’on trouve un équilibre entre nos rêves ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) et la réalité qui consiste à essayer de fournir le marché” avec des produits pétroliers, en attendant que l’offre d’énergie renouvelable soit suffisante pour s’y substituer.