La Chine a décidé d’élever l’hydrogène au rang de priorité stratégique dans son 15ᵉ plan quinquennal (2026–2030), une orientation qui s’accompagne d’un accroissement notable des investissements publics dans les infrastructures, les capacités de production et la R&D. Cette décision s’inscrit dans un cadre industriel où Pékin cherche à transformer ses excédents énergétiques renouvelables en avantage compétitif sur la filière hydrogène, avec une approche centrée sur les coûts et la montée en volume.
Des investissements publics massifs pour structurer la chaîne nationale
L’Administration nationale de l’énergie (National Energy Administration, NEA) et la Commission nationale du développement et de la réforme (National Development and Reform Commission, NDRC) coordonnent des programmes d’investissement visant à relier les sites de production d’énergie renouvelable aux infrastructures d’électrolyse et de transport d’hydrogène. La stratégie repose sur un soutien budgétaire massif pour développer les réseaux de stations H₂ et financer des flottes d’engins lourds dans les zones minières, en particulier en Mongolie intérieure, au Xinjiang et dans le Guangdong.
Les autorités publiques subventionnent directement la construction d’électrolyseurs, dont 60 % de la capacité mondiale est désormais concentrée en Chine. Ce soutien a permis de réduire les prix domestiques de 33 % entre 2022 et 2024 pour la technologie alcaline (ALK). Le coût de production d’hydrogène vert s’établit autour de 3–3,5 $/kg et devrait atteindre 1,5–1,75 $/kg d’ici 2030 grâce à la baisse des prix des modules photovoltaïques et à la standardisation des équipements.
Un levier d’investissement pour absorber les surcapacités énergétiques
Les fonds publics visent aussi à absorber la surproduction de l’industrie solaire et éolienne. Dans les régions à fort taux de curtailment, comme le Xinjiang, les heures creuses d’électricité à bas prix sont réorientées vers l’électrolyse pour stabiliser le réseau. Pékin considère cette utilisation comme une méthode d’optimisation du capital investi dans les énergies renouvelables, tout en stimulant une nouvelle demande industrielle.
Des entreprises publiques comme Sinopec Group, State Power Investment Corporation (SPIC) et CHN Energy pilotent les premiers hubs intégrés. Le site de Kuqa, alimenté par 300 MW solaires pour une production annuelle de 20 kt d’hydrogène vert, illustre la volonté de rentabiliser les investissements publics par des projets pilotes à grande échelle. À Ordos, un complexe associant énergie éolienne, solaire et électrolyse soutient la conversion des équipements miniers lourds à l’hydrogène.
Un soutien budgétaire aux usages industriels et à l’innovation
L’État finance également des projets de substitution dans les secteurs du raffinage et de la chimie pour remplacer l’hydrogène gris par de l’hydrogène vert. Les complexes industriels de Sinopec et Baowu Steel Group bénéficient d’incitations fiscales pour l’adoption de procédés à hydrogène, notamment pour la production d’acier par réduction directe (H₂-DRI). Les aides publiques incluent des amortissements accélérés, des exonérations de taxe sur la valeur ajoutée et des programmes de démonstration technologique.
Le gouvernement central soutient la recherche sur les électrolyseurs de nouvelle génération via des partenariats public-privé impliquant des fabricants tels que LONGi Hydrogen et PERIC Hydrogen Technology. Ces programmes visent à consolider la filière nationale et à favoriser l’exportation de savoir-faire vers les marchés émergents d’Asie et du Moyen-Orient.
Pressions extérieures et reconfiguration géoéconomique
Les ambitions chinoises s’inscrivent dans un contexte de tensions commerciales croissantes. Les États-Unis ont étendu la Section 301 à la catégorie “electrolyser”, augmentant les droits de douane sur les équipements chinois, tandis que l’Union européenne appliquera le Carbon Border Adjustment Mechanism (CBAM) à l’hydrogène dès 2026. Ces mesures incitent Pékin à renforcer ses alliances économiques avec les pays du Golfe et d’Asie-Pacifique, notamment à travers des partenariats de développement industriel avec l’Arabie saoudite et le projet NEOM.
Ces restrictions extérieures n’entravent pas la dynamique interne : les investissements publics garantissent une demande stable et réduisent les risques de sous-utilisation des infrastructures. En parallèle, la Chine poursuit une stratégie d’exportation d’équipements à bas coût, accentuant la pression sur les fabricants occidentaux et redéfinissant les équilibres mondiaux du marché de l’hydrogène.