Les autorités américaines ont renforcé leur ancrage énergétique en Europe du Sud-Est en s’appuyant sur la Grèce comme point d’entrée stratégique du gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’Ukraine et les Balkans. La déclaration publique de l’ambassadrice Kimberly Guilfoyle, à Athènes, marque une phase politique nouvelle dans un processus d’infrastructure déjà largement amorcé. Le pays s’impose désormais comme plateforme clé pour les exportations américaines de GNL, via les terminaux d’Alexandroupolis et de Revithoussa, connectés à un réseau d’interconnexions appelé Vertical Corridor.
Un corridor régional structuré pour le gaz non russe
Le Vertical Corridor ne désigne pas une seule infrastructure mais un système de flux réversibles entre la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie, la Moldavie, l’Ukraine et la Slovaquie. Cette configuration est conçue pour remplacer les volumes russes, alors que l’Union européenne prévoit un arrêt total des importations de gaz russe à l’automne 2027. L’extension des capacités aux points de transit comme Negru Voda–Kardam permet d’absorber les volumes croissants de GNL américain, redirigés vers les marchés d’Europe centrale en contournant les routes historiques.
La stratégie énergétique actuelle repose sur un verrouillage réglementaire, combinant les sanctions européennes, les objectifs de sécurité d’approvisionnement et une architecture contractuelle à long terme avec des opérateurs américains et grecs. Plusieurs projets de vente de capacité ont été déposés auprès des régulateurs européens, soulevant des interrogations sur leur conformité aux règles de l’Union sur la transparence et la non-discrimination.
Pressions croissantes sur les ports grecs
Sur le plan industriel, Washington soutient la transformation du port d’Éleusis en plateforme logistique alternative à celui du Pirée, contrôlé par le groupe chinois Cosco. Un prêt de 125 M$ a été accordé par la Development Finance Corporation (DFC) américaine à Onex Elefsis Shipyards pour moderniser les infrastructures. Cette initiative complète la stratégie visant à détourner les flux stratégiques hors des structures à capitaux chinois.
Le port du Pirée, sous concession à Cosco jusqu’en 2052, reste un point sensible. Si aucun contentieux n’a été ouvert, le développement parallèle d’Éleusis et d’Alexandroupolis réduit l’importance du Pirée dans les chaînes de valeur énergétiques et militaires, sans rompre les engagements contractuels existants. Le différentiel de traitement entre les deux ports devrait s’accentuer à mesure que les projets soutenus par les États-Unis entrent en phase opérationnelle.
Un ancrage contractuel structurant pour le GNL américain
Du côté commercial, les contrats signés entre DEPA Commercial et des fournisseurs américains comme Venture Global prévoient des livraisons jusqu’en 2045. Une joint-venture récemment constituée entre DEPA et AKTOR prévoit un approvisionnement minimal de 0,5 Mt/an dès 2030, via Alexandroupolis. Pour l’hiver 2025–2026, l’Ukraine s’est assurée de volumes via la Grèce pour une valeur d’environ 2 Md€, avec le soutien de financements européens.
Cette structuration contractuelle implique un alignement fort sur les intérêts commerciaux américains. Les tarifs d’acheminement cumulés sur le corridor restent supérieurs aux routes traditionnelles norvégiennes ou algériennes, mais la stabilité juridique et l’origine non russe du gaz compensent ce désavantage pour plusieurs acheteurs régionaux.
Une rivalité croisée entre Moscou et Pékin
Les autorités ukrainiennes, confrontées à une destruction partielle de leur réseau gazier, misent sur la fiabilité du corridor gréco-balkanique pour assurer leur sécurité énergétique hivernale. Simultanément, les États-Unis renforcent leur influence en Méditerranée orientale à travers des alliances régionales, notamment dans le cadre du groupe « 3+1 » réunissant Grèce, Chypre, Israël et les États-Unis.
Face à ces développements, la Chine voit son levier logistique diminuer sans affrontement direct. La concurrence entre Éleusis et le Pirée reflète une redéfinition du contrôle des flux stratégiques dans la région. L’équilibre de ces investissements dépendra de la stabilité des relations transatlantiques, de la demande européenne en GNL et des arbitrages géopolitiques en mer Égée.