L’Union européenne (UE) amorce une transformation majeure en faveur du nucléaire avec une volonté politique affirmée et des initiatives concrètes. Ce revirement stratégique intervient dans un contexte marqué par la transition énergétique et des défis économiques et géopolitiques croissants.
Après une décennie dominée par les investissements dans les énergies renouvelables, l’Europe reconnaît désormais la nécessité de diversifier ses sources d’énergie décarbonées. Selon Attila Steiner, secrétaire d’État hongrois pour l’énergie et le climat, le nucléaire est « inévitable » pour garantir l’indépendance énergétique et atteindre les objectifs climatiques. La Hongrie, qui présidait l’UE en 2024, a joué un rôle clé dans les discussions politiques pour aligner les 27 États membres sur une approche commune.
Un nouveau modèle pour les SMR
La Commission européenne a annoncé en février 2024 la création de l’Alliance SMR (Small Modular Reactors). Ce groupement rassemble entreprises, institutions financières, centres de recherche et ONG pour accélérer le déploiement de ces technologies. L’objectif est d’installer les premiers réacteurs modulaires en Europe d’ici le début des années 2030, répondant à une double exigence de rapidité et de standardisation industrielle.
Massimo Garribba, directeur général adjoint pour l’énergie à la Commission européenne, souligne que l’Europe doit « rattraper son retard » par rapport à l’Asie et aux États-Unis, qui ont investi massivement dans le nucléaire ces deux dernières décennies.
Financements et compétitivité
L’UE explore également des mécanismes de financement innovants. Parmi eux, un « fonds de compétitivité » envisagé par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, pourrait inclure un soutien direct aux projets nucléaires. Les discussions sur ce fonds sont prévues pour le budget 2028-2034, mais les premiers projets pourraient être proposés dès 2025.
Le rôle de la Banque européenne d’investissement (BEI) est également réexaminé. Bien que historiquement orientée vers les renouvelables, la BEI envisage désormais d’investir dans les SMR, offrant une nouvelle dynamique pour le secteur nucléaire européen.
Défis juridiques et réputation
Cependant, des obstacles demeurent. La réputation du nucléaire, souvent ternie par des dépassements de coûts et des retards, doit être restaurée. Pour Alan Woods, directeur chez Rolls Royce SMR, une approche standardisée, avec des unités construites en usine, est essentielle pour convaincre les investisseurs et assurer des délais de livraison.
Par ailleurs, des ajustements juridiques sont nécessaires pour répondre aux enjeux spécifiques des SMR, notamment en matière de sécurité et de responsabilité civile. Comme le souligne Ximena Vasquez-Maignan, juriste chez White & Case, bien que le cadre légal européen soit robuste, il nécessite des adaptations face aux nouveaux défis posés par cette technologie émergente.
Une réponse aux enjeux géopolitiques
Ce virage vers le nucléaire s’inscrit également dans une réponse stratégique aux crises énergétiques récentes, exacerbées par l’invasion russe de l’Ukraine en 2022. Les perturbations dans l’approvisionnement en gaz naturel et la nécessité d’accélérer la décarbonation des économies européennes ont conduit à une révision des priorités énergétiques.
En parallèle, les élections nationales et européennes ont renforcé des coalitions politiques favorables au nucléaire, marquant un recul des partis écologistes sceptiques à l’égard de cette technologie.