La stratégie énergétique de la Russie au Moyen-Orient repose, en ce moment, particulièrement sur son influence dans la guerre syrienne. La Russie a d’importants intérêts économiques à défendre, notamment dans le domaine pétrolier. C’est dans ce contexte qu’elle aide l’armée loyaliste à récupérer la totalité de son territoire et de ses installations pétrolières. Dernièrement, elle a bombardé plusieurs raffineries dans le dernier bastion rebelle au Nord-Ouest. Toutefois, l’état économique et politique du pays pourraient l’empêcher de réaliser ses projets d’influence et de reprise territoriale.
La stratégie énergétique russe de reprise des gisements de pétrole syriens
Couper l’approvisionnement énergétique des rebelles
La stratégie énergétique russe au Moyen-Orient repose en grande partie sur la Syrie. Grâce à l’aviation et l’aide iranienne, les forces de Bachar-al-Assad ont repris plus des 2/3 du territoire. Il reste le dernier bastion rebelle au Nord-Ouest notamment dans la poche d’Idlib, soutenu par la Turquie.
Pour les affaiblir, des frappes ont lieu régulièrement sur des hôpitaux, des écoles ou des commerces alimentaires. Mais ce ne sont pas les seules infrastructures visées. La Russie aurait récemment bombardé leurs installations pétrolières, même si elle n’a pas reconnu son implication.
En effet, les raffineries d’Al-Hamaran près de Jarablus et de Tarhin près d’Al-Bab ont été touchées par des missiles balistiques. Les conséquences sont lourdes avec la destruction de 20 raffineries de pétrole et de 200 camions pétroliers.
La perte engendrée équivaudrait à plusieurs millions de dollars. On décompte actuellement 4 morts et une vingtaine de blessés.
Reprendre le contrôle des gisements pétroliers dans l’Est
La semaine dernière, la Russie a repris le contrôle de plusieurs installations pétrolières dans le gouvernorat de Raqqa.
Le premier est celui d’Al Thawra, qui produit à l’heure actuelle 2000 barils/jour. Il aurait été remis, selon certaines sources, par la milice iranienne Liwa Fatemiyoun, alliée des Russes. Le second, Toueinane, a une capacité de 3 millions de m3 de gaz naturel par jour.
Les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), dominée par les kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), détiennent, elles toujours la plupart des champs pétroliers et de gaz dans la région du Hassaké. Ils en possèdent aussi dans le grand champ pétrolier à Deir ez-Zor et certains à Raqqa. Les recettes tirées de cette production font fonctionner leur administration semi-autonome.
Les forces de Bachar-al-Assad détiennent principalement les gisements autour de Homs.
L’entrave américaine
Une stratégie énergétique entravée par la présence américaine ?
Aujourd’hui, la présence américaine aux côtés des kurdes (YPG) est un frein pour la victoire totale du gouvernement de Damas. Elle s’appuie sur sa base militaire dans le Deir-Ez-Zor. En octobre 2019, Trump avait décidé de maintenir quelques centaines d’hommes pour sécuriser le pétrole des kurdes.
La nouvelle administration américaine a toutefois annoncé que les 900 militaires sur place ont comme unique mission la lutte contre l’État Islamique. Ce changement de ton ne remet pas en question l’alliance avec les kurdes. Un accord a d’ailleurs été signé en 2020 entre la société pétrolière américaine Delta Crescent Energy et le FDS.
Une reconstruction de la Syrie possible ?
Depuis 2011, près de 400.000 civils ont péri dans le conflit et le risque de famine est élevé. Le coût final de la guerre est de 1200 milliards USD$. Malgré la reprise du pouvoir syrien, le pays reste profondément divisé au niveau intérieur.
Le régime syrien verrouille le processus de paix et empêche de facto la fin des sanctions occidentales. Ces dernières touchent des secteurs clés de l’énergie, avec un embargo sur le pétrole. Or, les revenus des hydrocarbures représentent une grande part des recettes étatiques.
La situation économique est catastrophique avec une dépréciation inédite de la monnaie, aggravée par la crise financière libanaise. Le pays connait aussi une pénurie de carburant avec une hausse de 50% des prix (15 mars).
Ces différents points sont autant de facteurs qui pourraient empêcher la Russie de réaliser ses ambitions.
Des intérêts énergétiques mais aussi géopolitiques
Une stratégie énergétique pour rembourser l’effort de guerre
Depuis 2015, la Russie soutient le gouvernement de Damas, un engagement très couteux financièrement. Elle souhaite garder la main sur la reconstruction du pays pour rembourser en partie sa contribution. L’accord de 2018 lui donne des droits exclusifs sur les futurs projets gaziers et pétroliers syriens.
Contrôler une zone centrale pour le transit des hydrocarbures
La Russie veut garder le contrôle de la Syrie, un couloir clé pour contrôler les gazoducs approvisionnant l’Europe. Elle souhaite faire revivre le projet d’un gazoduc Iran-Irak -Syrie. Elle avait d’ailleurs convaincu le pouvoir syrien de refuser le projet d’un gazoduc Qatar-Turquie.
Sa politique vise donc à empêcher la construction d’un gazoduc qui la concurrencerait sur le marché européen. Elle s’appuie à l’heure actuelle sur NordStream et TurkStream.
Défendre ses intérêts stratégiques
La présence russe s’explique par sa volonté de défendre l’axe chiite contre celui américano-saoudien. Elle défend donc l’alliance regroupant le Hezbollah libanais, la Syrie, l’Irak et l’Iran.
Il s’agit aussi d’une question de politique intérieure. Elle craint la propagation du conflit syrien dans ses territoires, notamment au Caucase.
Elle a également en Syrie son unique base aéronavale au port de Tartous, son seul accès aux « mers chaudes ». Elle possède une base aérienne au Lattaquié.
Par sa présence au sein de l’OPEP+, elle veut garder une main mise sur la production mondiale du pétrole. Or, la guerre en Syrie a des impacts sur les prix du baril. En pleine récession économique, la Russie a plus que besoin de ses revenus en pétrole (40% de ses recettes totales). La Russie a donc autant d’intérêts économiques, énergétiques, politiques que militaires à renforcer son emprise sur la Syrie.