Rosatom accuse IC Ictas d’avoir commis de « nombreuses violations » dans la construction d’une centrale nucléaire de 20 milliards de dollars en Turquie. De ce fait, la société russe résilie le contrat avec son partenaire turc.
Néanmoins, la centrale nucléaire de Rosatom, Akkuyu Nukleer, a annoncé la signature d’un accord avec TSM Enerji pour gérer les travaux de construction restants à l’usine. Cet accord vise à prendre le relais après la fin du contrat avec IC Ictas.
À ce même moment, le spécialiste du nucléaire russe, Rosatom annonce la résiliation du contrat avec IC Ictas en raison de multiples violations. Cette annonce intervient quelques heures avant la rencontre entre Poutine et Erdogan, à Sotchi en Russie.
Suite à cela, IC Ictas déclare lancer une contestation judiciaire concernant la résiliation de l’accord. D’après l’entreprise, cet accord est crucial pour les besoins énergétiques de la Turquie. Par conséquent, sa résiliation est susceptible d’entraîner des retards avec de lourdes conséquences.
Un projet crucial pour la Turquie
La centrale nucléaire d’Akkuyu Nukleer est un projet russo-turque situé à Akkuyu, dans le sud de la Turquie. Estimée à 20 milliards de dollars, la centrale prévoit de construire quatre réacteurs de 1.200 MW sur le site. À ce jour, cette centrale représente le plus gros investissement de la Turquie.
En avril 2018, commence la construction de l’unité 1, puis de l’unité 2 en avril 2020 et enfin, de l’unité 3 en mars 2021. Concernant l’unité 4, sa construction vient de commencer ce 21 juillet.
En outre, Ankara souhaite mettre en place le premier réacteur de la centrale de 4.800 MW avant 2023. Pour rappel, les élections présidentielles et législatives du pays se déroulent la même année où la République turque célébrera le centenaire de sa fondation.
La finalité du projet est de pouvoir produire jusqu’à 10% de l’électricité de la Turquie, lors de la mise en service des quatre réacteurs.
Dans un communiqué, le ministre turc de l’énergie et des ressources naturelles, Fatih Donmez, déclare:
« Des milliers d’employés sur le terrain font un grand effort pour s’assurer que le plus grand projet de Turquie progresse conformément aux objectifs. »
Par ailleurs, l’exploitation de la centrale nucléaire d’Akkuyu représente un chiffre d’affaires estimé à environ 6 milliards de dollars. Outre les revenus bénéfiques, le projet développera considérablement la technologie nationale et les capacités de production de l’énergie nucléaire. De même, les sous-secteurs bénéficieront également de ce cercle vertueux.
Les motifs du différend entre Rosatom et IC Istac
IC Istac accuse Rosatom d’écarter les entreprises turques du projet de centrale nucléaire d’Akkuyu. Il estime que cette résiliation unilatérale est un « acte illégal. »
D’après une déclaration d’IC Istac, 7.000 employés ont été mis en congé payé obligatoire. De plus, la résiliation a entraîné l’arrêt immédiat des travaux dans le cadre du projet.
De ce fait, l’entreprise turque compte bien poursuivre le géant russe en justice. Elle prévoit donc une action devant un tribunal d’arbitrage à Londres et une autre en Turquie.
Dans un communiqué, Rosatom commente:
« Lors de l’exécution du contrat, IC Ictas a commis de nombreuses violations affectant la qualité et le calendrier des travaux (…) Pour cette raison, la direction du projet a décidé de résilier le contrat. »
Une ingérence russe via Rosatom?
TSM Enerji s’impose comme le nouveau partenaire « turc » dans le cadre du projet avec Rosatom. La société russe conteste les accusations d’écarter les acteurs turcs dans le projet. Toutefois, le registre du commerce turc indique que l’entreprise appartient à trois sociétés basées en Russie.
Dans un communiqué, Akkuyu Nukleer explique:
« Tous les travaux sous-traités en cours seront transférés à TSM […]. De nouveaux contrats similaires seront signés entre TSM et les sous-traitants. »
Le communiqué assure que les travaux se termineront à des dates convenues au préalable, tout en assurant le salaire des travailleurs. Néanmoins, ce communiqué n’explique pas les causes précises de la résiliation de l’accord avec IC Ictas.
De plus, Rosatom justifie ce nouveau partenaire par la nécessité de posséder « des compétences spécialisées » pour opérer à un « rythme intense ». Elle assure vouloir « un travail de qualité respectant les délais de construction et d’installation ».
En outre, ce différend fait l’objet de fortes critiques de la de la part des représentants de l’opposition turque et dans les médias nationaux. Ces derniers accusent la Russie de vouloir prendre le contrôle de la centrale électrique.
Yeni Akit, l’ingénieur et directeur adjoint de la préparation de la production à la centrale nucléaire d’Akkuyu, Levent Senoglu, déclare:
« C’est très triste pour le projet Akkuyu d’en arriver à ce stade de ce processus où tout le travail s’est accéléré, la quatrième unité a commencé et tous les travaux sont entrés dans le cours final. Nous sommes sérieusement préoccupés à la fois par nos droits et par l’avenir du projet. »
Ce dernier indique que le personnel turc représente 17.000-18.000 sur un effectif de plus de 20.000 personnes travaillant à la centrale nucléaire. À noter, on compte 10.000 employés qui ont été transférés dans la nouvelle société, après licenciement.
Le ministère turc comme médiateur
En somme, Fatih Donmez commente:
« Notre ministère a pris les initiatives nécessaires pour résoudre le différend entre les parties. Notre priorité est de veiller à ce que tous les entrepreneurs et employés qui ont servi sur le chantier depuis le début du projet ne doivent subir aucun grief et que le projet soit mis en service à temps. »
Ce rôle de médiateur est d’autant plus important que le projet est déterminant pour l’économie turque. En respectant les normes de sécurité les plus élevées, ce projet permet le transfert de technologie nucléaire à la Turquie. De plus, elle permet de former une industrie nationale à l’énergie nucléaire.
Le ministère précise:
« Dans ce contexte, 317 étudiants ont été envoyés en Russie pour une formation à l’énergie nucléaire jusqu’à présent, afin de former nos ingénieurs qui ont les connaissances et l’expérience nécessaires pour établir et exploiter les futures centrales nucléaires de la Turquie. Jusqu’à présent, 263 ingénieurs ont terminé leur formation et ont commencé à travailler à Akkuyu et 54 poursuivent leur formation en Russie. »
Ainsi, Ankara souhaite que ce différend se termine pour préserver ses relations privilégiées avec la Russie. Cependant, la collaboration est loin de se terminer. D’après Erdogan, la Turquie envisage de construire deux autres usines avec la Russie.
Illustration par Muhammed Sallah