Au moment où l’Allemagne tourne la page du nucléaire, d’autres pays s’intéressent à cette énergie, invoquant des besoins énergétiques et y voyant un atout climatique, mais ce regain d’intérêt reste à concrétiser. Etat des lieux du recours à l’atome dans le monde. Coup de frein post-Fukushima.
L’énergie nucléaire génère aujourd’hui 10% de l’électricité mondiale, dans 31 pays (hors Allemagne), selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). L’atome a connu un coup de frein avec l’accident de la centrale de Fukushima au Japon en 2011. L’Allemagne et la Suisse décident alors son abandon, plus ou moins progressif, la Chine ralentit son faramineux programme. L’Italie avait voté pour la sortie du nucléaire par référendum dès 1987 après Tchernobyl. Globalement, le monde est passé de 441 réacteurs en fonctionnement en 2002, son maximum, à 422 à fin 2022, recense l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
La production nucléaire totale a retrouvé en 2021 son plus haut niveau, mais la suite est incertaine: le parc vieillit et le nombre de chantiers lancés chaque année – 10 en 2022, dont la moitié en Chine – est loin du rythme des années 70-80. La seule année 1976 avait vu le lancement de 44 constructions.
Champions historiques
Les Etats-Unis restent la première puissance nucléaire civile, avec 92 réacteurs. Leur âge moyen croît (42 ans) et seuls deux sont en construction. Mais Joe Biden y croit pour atteindre en 2035 100% d’électricité « propre » et le gouvernement compte soutenir la filière. La France, avec 56 réacteurs (37 ans d’âge moyen), reste elle le pays le plus nucléarisé par habitant. Après avoir décidé de réduire la voilure, elle s’oriente désormais vers un nouveau programme de six voire 14 réacteurs, le premier étant mis en service à horizon 2035-2037.
Dans l’intervalle, l’électricien national EDF devra achever en Normandie son réacteur de nouvelle génération EPR, dont le chantier accuse 12 ans de retard. La Grande-Bretagne, autre pionnier, a neuf réacteurs dont beaucoup approchent leur fin de vie. Elle projette d’en construire huit d’ici 2050 mais la seule centrale en construction, Hinkley Point C, a vu ses coûts s’envoler.
Deux grands pays actifs
Aujourd’hui, les vrais superactifs du nucléaire civil sont la Chine à domicile et la Russie à l’export. Depuis trois ans, sur les 25 chantiers lancés dans le monde (première coulée du béton du réacteur), tous se trouvent soit en Chine, soit hors de Chine mais portés par l’industrie russe, analyse le World Nuclear Industry Status Report (WNISR), rapport d’experts indépendants basé sur des données publiques.
La Chine enchaîne les inaugurations et surpasse désormais la France avec 57 unités. Mêlant technologies russe, française, américaine, canadienne… elle se limite cependant à des projets nationaux, ou avec le Pakistan. En revanche, la Russie domine le marché international, avec 25 réacteurs en chantier: 5 en Russie et 20 dans d’autres pays (Bangladesh, Belarus, Chine, Egypte, Inde, Iran, Slovaquie et Turquie). Ces chantiers ont démarré dans les années 2000, 2015 ou encore 2018, l’égyptien en 2022. « Ce qui est nouveau, c’est l’arrivée de pays qui jusqu’ici n’avaient pas de nucléaire: Bangladesh, Egypte… », note Mycle Schneider, auteur principal du WNISR, qui voit là une stratégie russe pour « créer des interdépendances à long terme ».
Regain d’intérêt, à concrétiser
Sur fond de crise énergétique, liée en partie à la guerre en Ukraine, d’autres pays expriment un intérêt renouvelé pour l’atome. La Belgique, qui a choisi en 2003 d’arrêter le nucléaire, veut prolonger de dix ans deux réacteurs. Le Japon lui-même a lancé une réflexion sur la construction éventuelle de nouveaux réacteurs, mais la tâche du redémarrage même des réacteurs existants est compliquée et l’opinion réticente.
Pour la Pologne, la République tchèque ou l’Inde, il s’agit de réduire leur dépendance au charbon. D’autres encore comme la Suède ou les Pays-Bas ont exprimé leur intérêt pour le nucléaire.
Dans ce contexte, l’AIEA a relevé en 2022 ses projections pour la seconde année consécutive, anticipant jusqu’à plus du doublement de la puissance nucléaire mondiale installée d’ici à 2050. Mais « pour y parvenir, il faut surmonter de nombreux défis », ajoute l’Agence, qui cite « l’harmonisation réglementaire et industrielle » et la nécessité de « progrès dans la gestion des déchets radioactifs de haute activité ».
En raison de son coût et de ses risques, des pays restent résolument contre le nucléaire, jusqu’en Nouvelle-Zélande. Et ces divergences se retrouvent au sein de l’Union européenne, dans les vifs débats à Bruxelles sur le soutien à cette énergie.