Le programme gazier Irakien vise à relancer l’exploitation des réserves gazières de l’Irak après un quart de siècle de guerre. Le pays est en effet dans une situation d’insécurité énergétique sévère, tributaire des tensions entre l’Iran, son principal fournisseur de gaz et d’électricité, et les États-Unis.
Un programme gazier et des réserves potentiellement immenses
Le programme gazier Irakien vise à exploiter les réserves de gaz afin de contribuer à l’indépendance énergétique du pays. C’est en tout cas l’objectif annoncé par le Premier ministre Moustafa al-Kazimi lors de son arrivée au pouvoir en 2020. Le pays bénéficie en effet d’un fort potentiel de réserves estimé à 3500 milliards de mètres cube (tcm). L’Agence internationale de l’énergie estime même à 8 tcm la quantité potentielle de réserves disponibles.
Pourtant, ces réserves sont aujourd’hui largement sous-exploitées, le pays ne produisant quasiment pas de gaz. Cela s’explique par la forte proportion (près des ¾) de réserves liées à du gaz associé aux gisements pétroliers. Or, ce gaz se trouve en grande partie brûlé lors d’opérations de torchage. Aujourd’hui, seule la Russie brûle autant de gaz que l’Irak.
Attirer les investisseurs étrangers pour construire les gazoducs
Dans ces conditions, le gouvernement Irakien souhaite attirer les investisseurs étrangers afin d’exploiter ce gaz associé. La principale difficulté consiste à l’heure actuelle à construire les gazoducs permettant d’exporter ce gaz vers les marchés de consommation. Pour lever cet obstacle, Bagdad a dévoilé un livre blanc consacré à une réforme énergétique en octobre 2020.
Depuis lors, cette stratégie a connu un premier succès avec la signature d’un accord avec Total pour 7 milliards d’euros. L’accord signé fin mars prévoit l’exploitation de près de 300 millions de pieds cubes par jour (mscf/d). Cette quantité doublera ensuite lors de la seconde phase du projet permettant à l’Irak d’augmenter substantiellement sa production gazière.
Renforcer la sécurité énergétique de l’Irak
Le programme gazier irakien enregistre donc un succès important avec l’accord passé avec Total. Pour Bagdad, il s’agit pourtant d’une première étape afin de faire du gaz un pilier central de sa sécurité énergétique. L’Irak se retrouve en effet confronté à des pénuries chroniques d’électricité depuis l’invasion américaine de 2003.
D’une part, du fait de sa démographie galopante, le pays connaît une explosion de la demande d’énergie depuis plusieurs années. D’autre part, l’offre se voit limitée par la corruption endémique du distributeur d’électricité et la vétusté des infrastructures. Cette dichotomie entre l’offre et la demande entraîne régulièrement des émeutes de population protestant contre les pénuries. Facilitant d’autant les attaques terroristes contre le réseau.
La dépendance de l’Irak à l’Iran
Ce décalage entre l’offre et la demande pousse Bagdad à importer du gaz et de l’électricité auprès du voisin Iranien. En matière de gaz, le pays importe ainsi 1,2 milliard de pieds cubes par jour (bcf/d) de gaz Iranien. Pour l’électricité, le niveau d’importation s’élève à 1200 MW chaque année.
Cette dépendance à l’Iran rend l’Irak vulnérable au bon vouloir de son voisin. Ainsi, en décembre dernier, Téhéran avait interrompu près de la moitié de ses approvisionnements vers l’Irak pour une question d’impayés. Cela avait entraîné de nombreuses coupures d’électricité et de nouvelles manifestations contre le gouvernement. Beaucoup estiment que cette crise a démontré la volonté Iranienne d’utiliser l’arme énergétique afin d’influencer la politique de son voisin.
L’Irak pris en étau entre Téhéran et Washington
En exploitant ses propres réserves, le programme gazier Irakien vise dès lors à réduire la dépendance de Bagdad envers Téhéran. Pourtant, les tensions Iran – États-Unis rendent cette tâche particulièrement ardue pour le gouvernement Irakien. En effet, l’Irak est devenu un champ de bataille dans la rivalité irano-américaine depuis la sortie américaine de l’accord nucléaire (JCPOA).
Depuis 2018, Téhéran et Washington se livrent une bataille d’influence en Irak conduisant à des attaques contre les bases américaines. Ces attaques se sont accrues depuis l’assassinat du général Soleimani à Bagdad début janvier 2020. L’Iran utilise notamment ses milices chiites Irakiennes afin de s’en prendre aux intérêts Américains en Irak. Coincé au milieu, le gouvernement Irakien doit maintenir un équilibre difficile entre ces deux puissances.
Des tensions qui peuvent faire dérailler le programme gazier irakien
Cette position inconfortable du pays a des conséquences majeures sur le plan énergétique. D’un côté, l’Irak dépend ainsi de son voisin Iranien pour son approvisionnement en gaz et en électricité. D’un autre côté, les États-Unis imposent des sanctions depuis 2018 pour toute entreprise commerçant avec une entité Iranienne. Pour l’heure, l’Irak bénéficie d’une exemption temporaire aux sanctions américaines conditionnée à des efforts réels en matière d’indépendance énergétique.
C’est pourquoi le programme gazier Irakien a reçu le soutien diplomatique de Washington. Cependant, l’Iran voit d’un mauvais œil cette quête d’indépendance énergétique et met tout en œuvre pour l’arrêter. Cela passe notamment par des pressions au Parlement Irakien ainsi que par la corruption au plus haut niveau de l’État. Surtout, Téhéran utilise le poids des milices chiites dans l’appareil de sécurité comme facteur de pression sur le gouvernement Irakien.
En conséquence, la route sera longue avant de voir l’Irak accéder à son indépendance énergétique. En permettant l’exploitation des réserves, le programme gazier Irakien constitue certes un pas vers la bonne direction. Néanmoins, les tensions croissantes entre l’Iran et les États-Unis risquent de compliquer les ambitions Irakiennes. Bagdad a ici tout intérêt à voir Washington et Téhéran s’accorder sur la question du nucléaire dans les prochains mois.