Les prix du carbone connaissent une trajectoire ascendante dans les marchés réglementés, notamment en Europe et aux États-Unis, soutenus par une demande robuste et des contraintes d’approvisionnement. Pendant ce temps, le marché volontaire du carbone peine à gagner du terrain en raison de la lente adoption des normes de haute intégrité et d’un manque persistant de liquidité. L’écart croissant entre ces deux segments du marché reflète des dynamiques contrastées, influencées par des facteurs structurels et réglementaires distincts.
Les marchés réglementés stimulés par la demande et les tensions géopolitiques
En août, les prix des quotas du Système d’échange de quotas d’émission de l’Union Européenne (EU ETS) atteignent des sommets, portés par une demande constante des secteurs énergétiques et industriels. La hausse est également alimentée par des tensions géopolitiques en Ukraine et au Moyen-Orient, qui renforcent le marché gazier, influençant directement le prix des EU Allowances (EUA). Cette corrélation étroite entre les prix du gaz naturel et ceux des quotas carbone européens met en lumière la dépendance de l’EU ETS à l’égard de la stabilité énergétique régionale.
Aux États-Unis, l’Initiative Régionale sur les Gaz à Effet de Serre (RGGI) enregistre des prix records de 27,47 $ par quota à la mi-août, avant la vente aux enchères du troisième trimestre. Ces hausses sont attribuables à une demande excédant les plafonds d’émissions établis, couplée à un épuisement des réserves de quotas disponibles depuis le premier trimestre de l’année. Les analystes anticipent que cette situation de tension sur le marché pourrait persister dans les deux années à venir, avec des prix moyens projetés à 22,9 $ par quota en 2024.
Les défis structurels du marché volontaire du carbone
Le marché volontaire du carbone, en revanche, fait face à des défis importants. Les crédits carbone issus de projets d’énergie renouvelable, par exemple, ont vu leurs prix chuter en août à un niveau bas de 1,327 $ par tonne métrique d’équivalent CO2. Cette baisse s’explique par l’absence de labellisation de haute intégrité « Core Carbon Principles » (CCP) par le Integrity Council for Voluntary Carbon Markets, en raison de préoccupations sur l’additionnalité des projets. La lenteur de l’adoption de ces normes d’intégrité crée une incertitude parmi les investisseurs et les acteurs de marché, freinant le développement de nouveaux projets.
Malgré la baisse des prix, les projets d’énergie renouvelable restent en tête des émissions de crédits sur le marché volontaire pour le mois d’août, avec 16,9 millions de tonnes métriques de crédits émis. Ce chiffre est en recul par rapport aux 21,4 millions de tonnes métriques enregistrées en juillet, indiquant une stagnation de la demande. Ce ralentissement met en lumière la nécessité de clarifier les critères de qualité des crédits pour restaurer la confiance des acheteurs.
Attentes et perspectives pour une meilleure régulation du marché volontaire
L’absence de clarté sur les critères de labellisation CCP reste un obstacle majeur à la croissance du marché volontaire. Selon les experts du secteur, l’Integrity Council for Voluntary Carbon Markets (ICVCM) peine à définir des normes universellement reconnues, ce qui retarde le développement de crédits de haute qualité. Plusieurs méthodologies de projets, telles que la gestion améliorée des forêts (REDD+), l’afforestation, la reforestation et la revégétalisation, sont en attente d’approbation pour recevoir le label CCP. Les acteurs de marché espèrent que cette lenteur sera surmontée et que de nouvelles catégories de crédits verront le jour d’ici la fin de l’année.
En marge de la conférence Innovate 4 Climate à Berlin, Hania Dawood, responsable de la finance climatique et de l’économie à la Banque mondiale, souligne que le marché commence à s’unir autour des Core Carbon Principles. Toutefois, elle avertit que le processus d’adoption de ces principes et la mise en place d’une gouvernance efficace resteront des défis significatifs dans les années à venir.
La nécessité d’une réforme structurelle pour assurer la crédibilité
Pour que le marché volontaire du carbone puisse croître de manière durable, une réforme structurelle est nécessaire afin de garantir la crédibilité et l’intégrité des crédits. Les critères de haute qualité doivent être clarifiés et appliqués uniformément pour éviter les pratiques qui compromettent l’additionnalité et l’efficacité climatique des projets. Cette transformation pourrait créer un environnement de marché plus prévisible, permettant de renforcer la confiance des investisseurs et de diversifier l’offre de crédits disponibles.
Les perspectives à long terme pour le marché du carbone, qu’il soit réglementé ou volontaire, dépendent en grande partie de la capacité des régulateurs et des parties prenantes à s’adapter aux nouvelles réalités économiques et géopolitiques. Une coordination efficace entre les différents acteurs et une régulation claire seront essentielles pour stabiliser les prix et renforcer la crédibilité des mécanismes de compensation carbone.