Le pétrole vénézuélien connaît depuis le mois de novembre une embellie totalement inattendue de ses exportations. D’après l’agence Bloomberg, le pays a ainsi triplé ses exportations entre le mois d’octobre et le mois de novembre 2020. Ce renversement s’explique par l’usage de nouvelles techniques de dissimulation permettant de contourner en partie les sanctions américaines. Pourtant, cette embellie ne doit pas nous aveugler quant à l’ampleur de l’écroulement de l’industrie pétrolière au Venezuela.
L’effondrement du pétrole vénézuélien
Depuis janvier 2014, le Venezuela traverse une crise pétrolière sans précédente aux effets catastrophiques sur le plan économique et humanitaire. À l’exception des zones de conflit, aucun pays au monde n’a connu un tel effondrement dans l’histoire contemporaine. La production de pétrole vénézuélien a ainsi chuté de 3 millions de baril/jour (b/d) à 360 000 en août 2020. En 6 ans, cela représente une division par 8 du niveau de production.
Trois éléments se sont conjugués quasi-simultanément pour expliquer cet écroulement. Tout d’abord, la compagnie nationale PDVSA a souffert d’un manque d’investissement provoqué par la politique d’accaparement de l’État vénézuélien. Pour Caracas, PDVSA servait en effet à alimenter les généreuses dépenses sociales accordées depuis l’élection d’Hugo Chavez en 1998. En cela, l’État a privilégié le soutien au régime plutôt que la modernisation des infrastructures pétrolières, notamment les raffineries.
Ce choix s’est révélé désastreux dès lors que les champs pétroliers conventionnels ont commencé à décliner. Ainsi, le pays a dû puiser dans ses réserves de pétrole lourd difficiles à extraire et à raffiner. Or, en l’absence d’investissements publics et privés, le pays n’avait plus les moyens d’exploiter ce type de pétrole. La baisse des prix du brut depuis 2014 n’a fait qu’aggraver ces difficultés.
Enfin, le pays subit depuis 2017 des sanctions américaines visant à interdire les exportations de brut. Rappelons que ces dernières représentent 99% des recettes d’exportation du pays. En cela, la campagne américaine de « pression maximum » vise clairement à renverser le président Maduro. Aujourd’hui, le régime de sanctions est tel qu’aucune compagnie internationale ne commerce avec l’industrie pétrolière au Venezuela.
L’embellie inattendue des exportations de pétrole vénézuélien
Dans ce contexte de sanctions, la récente annonce d’un triplement des exportations de pétrole a largement surpris les observateurs. D’après Bloomberg, le pays est ainsi arrivé à exporter près de 500 000 barils/jour au mois de novembre. Au niveau de la production, le pays connaît également une légère embellie avec 484 000 barils produits par jour. Cela représente une hausse non négligeable de 34% par rapport au mois d’août.
Cette embellie s’explique par la mise en œuvre de nouvelles techniques de contournement des sanctions américaines. Bloomberg décrit ainsi un montage sophistiqué impliquant des compagnies secrètes enregistrées en Russie servant d’intermédiaires pour transporter le brut vénézuélien. Parmi ces compagnies, on trouve Xiamen Logistic Grass ou Kalinin Businness International, toutes deux totalement inconnues jusqu’ici. En réalité, ces compagnies ne sont que des montages financiers créés pour protéger les grandes compagnies russes et chinoises.
Leur rôle consiste à mettre à disposition de Caracas des tankers dont les transpondeurs satellitaires sont régulièrement éteints. Ainsi, les transports de brut contournent complètement les sanctions internationales en se rendant invisibles durant la majorité du voyage. De même, afin d’éviter la détection, les compagnies cachent volontairement l’identité des tankers en utilisant des faux noms. Au moins 6 cargos normalement hors d’usage ont ainsi été identifiés en train de transporter du pétrole vénézuélien.
Ces techniques de dissimulation s’accompagnent également d’une prise en charge par Moscou d’une partie des exportations vénézuéliennes vers l’Asie. L’opération consiste ici pour les Russes à exporter eux-mêmes du brut vénézuélien avant de reverser les recettes à Caracas. Légalement, les sanctions américaines ne peuvent s’appliquer car les exportations se font sous la juridiction russe. Grâce à cette technique, le Venezuela arrive donc à contourner en partie les sanctions internationales afin de vendre son pétrole.
Malgré l’embellie de novembre, le pétrole vénézuélien reste toujours en crise
Le quasi-triplement des exportations du mois de novembre représente indiscutablement une victoire pour un régime aux abois ces dernières années. Néanmoins, il convient de relativiser cette embellie et cette supposée renaissance du pétrole vénézuélien. D’une part, l’essentiel des exportations du mois de novembre ont servi à écouler les stocks des mois précédents. Étant donné la faiblesse de la production, maintenir un tel niveau d’exportation dans les mois prochains apparaît donc extrêmement improbable.
D’autre part, les exportations restent encore à un niveau très faible par rapport aux besoins du pays. Avec 500 000 barils par jour, les exportations ne représentent ainsi que 55% de leur niveau de novembre 2019. Autant dire que l’embellie du mois dernier ne devrait pas avoir un impact considérable sur la vie quotidienne des Vénézuéliens.
En réalité, il faudrait des niveaux d’exportation proches des 2 millions de barils/jour afin de soutenir l’industrie pétrolière vénézuélienne. En effet, si l’on prend les chiffres de 2018, près de 400 000 barils sont consommés quotidiennement dans le pays. À cela il faut ajouter les 600 000 barils nécessaires au paiement de la dette. Rappelons que celle-ci fut contractée auprès de la Chine et de la Russie en échange d’avantages commerciaux.
Pour la Russie, il s’agit d’un accès privilégié aux réserves du pays notamment par l’acquisition d’actifs pétroliers. Quant à la dette contractée auprès de la Chine, Caracas doit rembourser 25 milliards de dollars en livraison de pétrole. Le pays se retrouve ainsi débiteur d’une dette qui grèvera à l’avenir une grande partie de ses recettes d’exportation.
Pour le Venezuela, la situation reste donc extrêmement compliquée en matière d’exportation de son pétrole. Certes, le quasi-triplement des exportations du mois de novembre a surpris de nombreux observateurs. Néanmoins, le niveau est encore bien trop faible pour aider le pays à sortir de sa crise économique et humanitaire. L’élection de Joe Biden apporte toutefois l’espoir d’un possible relâchement des sanctions américaines dans les années qui viennent.