Le conflit entre la Russie et l’Ukraine remodèle la géopolitique et perturbe l’équilibre des marchés des matières premières. Les sanctions occidentales affectent largement la croissance économique globale. Les marchés de l’énergie et des métaux sont aujourd’hui plus instables que jamais, surtout si l’Union européenne décide de sanctionner le pétrole russe.
Une perturbation du marché du pétrole russe
Depuis le début de l’invasion le 24 février, les puissances occidentales ne cessent de raffermir les sanctions économiques. Ainsi, ces dernières s’aggravent de jour en jour. Dernièrement, les États-Unis ont annoncé interdire tout nouvel investissement en Russie. De la même manière, l’Union européenne a déclaré mettre en place un 5ème cycle de sanctions économiques.
De plus, l’UE réfléchit à la possibilité d’un embargo pétrolier sur la Russie. Toutefois, cette proposition rencontre de nombreuses critiques et un accord sur ce point semble difficile. L’Union Européenne n’a ainsi pas encore imposé d’interdiction concernant les importations de pétrole russe.
Certains pays européens, comme l’Allemagne, dépendent très largement des hydrocarbures russes. Ces États ne disposent pas d’infrastructures adaptées trouver des alternatives. Toutefois, les dispositions de l’Union européenne tendent à isoler la Russie du système financier international.
Ainsi, les sociétés de négoce réduisent leurs achats de pétrole auprès du groupe Rosneft. Rappelons que la société est affiliée au gouvernement russe et que le président de son conseil d’administration est Igor Setchine, le vice premier ministre russe.
Des sanctions européennes encore floues mais respectées
Le libellé des sanctions de l’UE exempte les achats de pétrole auprès de Rosneft ou de Gazpromneft, qui sont énumérés dans la législation, jugée « strictement nécessaire » pour assurer la sécurité énergétique de l’Europe. Toutefois, de nombreux négociants s’interrogent sur cette notion de « strictement nécessaire ».
Ce terme pourrait couvrir une raffinerie de pétrole qui reçoit du pétrole russe par un oléoduc captif, mais pas de l’achat et de la vente de pétrole russe par des intermédiaires. Toutefois, les entreprises annoncent réduire leurs achats pour se conformer aux futures normes européennes. Celles-ci devraient rentrer en vigueur d’ici au 15 mai.
Certaines sociétés ont déjà annoncé se plier aux objectifs européens. C’est notamment le cas de Trafigura, un important acheteur de pétrole russe. La firme a déclaré à Reuters :
« Nous nous conformerons pleinement à toutes les sanctions applicables. Nous prévoyons que nos volumes négociés seront encore réduits à partir du 15 mai ».
Toutefois, d’autres groupes restent plus sceptiques vis-à-vis de ces nouvelles directives. C’est notamment le cas de Vitol. La firme a refusé de commenter l’échéance fixée au 15 mai. Cependant, elle avait déjà déclaré qu’elle cesserait de négocier du pétrole russe d’ici la fin de 2022.
Enfin, certains commerçants refusent d’ores et déjà de commercer avec la Russie. C’est notamment le cas de Shell. Comme de nombreux autres acheteurs occidentaux, la société a déjà arrêté tout achat de brut russe au comptant.
Des conséquences encore incertaines
Ainsi, les raffineurs européens sont de plus en plus réticents à traiter le brut russe. Cela a déjà perturbé les exportations russes. Nonobstant, les achats de l’Inde et de la Turquie ont compensé une partie du manque à gagner. Les ventes à la Chine se poursuivent également sans relâche. En Europe, les volumes de Rosneft et Gazpromneft ont représenté 29 millions de barils en avril. C’est équivalent à 40 % des importations d’Oural brut à partir des ports occidentaux de la Russie sur le même mois.
L’Agence Internationale de l’Energie a toutefois déclaré que l’offre de pétrole russe pourrait baisser de 3 millions de b/j d’ici le mois de mai. Rosneft s’est refusé à tout commentaire. Également, Gazpromneft n’a pas répondu immédiatement aux demandes de commentaires de Reuters. Des acheteurs de pétrole russe, Gunvor et Glencore, ont aussi refusé de commenter l’impact de la date limite.
Les sociétés de négoce d’énergie sont confrontées à des risques de conformité et de réputation en raison de la série actuelle de sanctions occidentales. Elles doivent ainsi examiner de près les entités qu’elles peuvent payer ainsi que la nationalité de leurs employés. L’absence d’interdiction pure et simple complique ainsi la mise en application des contrats déjà existants. Une source déclare à Reuters :
« Toutes les entreprises s’assoient avec leurs avocats pour déterminer ce qu’elles peuvent et ne peuvent pas faire. On ne sait pas très bien ce que cela signifie pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, pour les expéditeurs, les assureurs ».
Selon lui toutefois, une chose est sûre : lorsqu’il y a de l’incertitude, les entreprises se retirent. Il estime donc que les flux de pétrole russe seront largement réduits à l’avenir.
Quel avenir pour l’économie russe ?
Comme nous l’avons évoqué plus tôt, l’économie russe reste relativement compétitive. En effet, le commerce d’énergie avec des pays tels que l’Inde ou la Chine a permis au rouble de se renforcer. Au même titre, la déclaration de Vladimir Poutine concernant le paiement en rouble des pays « inamicaux » a pour objectif de relever la monnaie. Elle avait très largement chuté au lendemain de l’invasion, à l’annonce des premières sanctions.
Selon un rapport de Wood Mackenzie, les recettes fiscales sur le gaz et le pétrole ont même doublé par rapport au même mois en 2021. Toutefois, malgré cet afflux de recettes, la récession menace et des sanctions énergétiques sont de plus en plus envisageables. Selon différents analystes, le PIB du pays pourrait chuter de 15 % en glissement annuel en 2022. L’inflation est également élevée et les experts de Wood Mackenzie estiment qu’elle pourrait atteindre 25 % en 2022.
Le rouble a retrouvé les taux d’avant l’invasion par rapport au dollar sur les marchés officiels, mais les taux non officiels sont probablement beaucoup plus faibles. Ainsi, en dépit d’un regain de la valeur du rouble récent, des sanctions énergétiques imminentes pourraient pousser la Russie dans une grave crise économique.
Ainsi, une aggravation des sanctions occidentales se précise concernant le pétrole russe. Les entreprises se retirent d’ores et déjà des marchés du brut de l’Oural. Il s’agira donc d’une part surveiller avec une vigilance extrême la moindre décision de l’Union européenne. Une directive allant dans le sens d’un embargo sur les hydrocarbures russes aura des conséquences jusqu’ici incertaines, mais sans nul doute très importantes pour l’économie mondiale. La sécurité énergétique de l’Europe et la croissance économique russe sont aujourd’hui en jeu.