L’incertitude entourant la politique de l’Union Européenne concernant les importations de combustible nucléaire russe impacte considérablement les investissements dans le secteur, notamment pour des entreprises comme Orano, un acteur clé du cycle du combustible nucléaire. Avant le conflit en Ukraine, la Russie représentait plus de 25% des approvisionnements européens et américains en uranium enrichi. En revanche, avec la guerre et les sanctions, cette dépendance est devenue un problème majeur pour la sécurité énergétique de l’Europe.
Impact sur Orano et ses concurrents
Les principaux acteurs européens du secteur, tels qu’Orano et Urenco, se retrouvent en concurrence pour remplacer les importations russes. La Russie, avec Rosatom, représente 43% de la capacité mondiale d’enrichissement d’uranium, tandis qu’Urenco en contrôle 31% et Orano 12%. Cette situation crée une pression importante pour Orano qui doit à la fois augmenter sa capacité de production tout en sécurisant des contrats à long terme.
La hausse des prix de l’uranium enrichi, qui est passé de 60 dollars par unité de travail de séparation (SWU) avant la guerre à 166 dollars aujourd’hui, reflète l’instabilité du marché. Ces hausses de prix pourraient perdurer si les producteurs européens ne parviennent pas à combler le vide laissé par la Russie. Par exemple, Orano investit massivement pour augmenter sa capacité d’enrichissement avec une extension de 1,7 milliard d’euros de son usine dans le sud de la France, tout en prévoyant de nouvelles installations aux États-Unis à partir des années 2030 pour répondre à la demande accrue de ses clients américains.
Contexte énergétique européen
Le manque de clarté de la politique de l’Union Européenne (UE) est un frein majeur aux investissements, selon Jacques Peythieu, Directeur de la stratégie d’Orano. Contrairement aux États-Unis, qui prévoient une interdiction totale des importations de combustible russe d’ici 2028 (avec quelques exceptions), l’Europe reste hésitante. Cette indécision met en péril la planification industrielle de nouvelles infrastructures de production en Europe, alors même que les besoins en uranium enrichi ne cessent d’augmenter pour assurer la sécurité d’approvisionnement énergétique.
Le problème est d’autant plus aigu pour des pays comme la France, qui repose à plus de 70% sur le nucléaire pour sa production d’électricité. Orano a dû ajuster ses opérations pour se concentrer davantage sur la transformation du MOX (Mixed Oxide Fuel), un combustible recyclé à partir de plutonium et d’uranium, déjà utilisé par plusieurs réacteurs en France et en Allemagne. La stratégie de « recyclage fermé » pratiquée par Orano permet de réduire le volume des déchets nucléaires et d’optimiser l’utilisation des matériaux fissiles, mais cette option n’est pas encore généralisée dans toute l’Europe.
Défis et opportunités pour Orano
Pour Orano, l’augmentation de la capacité de recyclage à La Hague, en France, représente une opportunité d’étendre sa part de marché dans un contexte de réduction des importations russes. L’entreprise a déjà transformé plus de 27 847 tonnes de combustible pour le groupe EDF depuis 1972 et continue d’innover pour maximiser le recyclage des matières fissiles. Cependant, les incertitudes réglementaires en Europe sur le statut des combustibles russes créent des obstacles pour sécuriser les financements nécessaires à ces expansions.
Perspectives pour l’Europe
L’UE devra adopter une position plus ferme et coordonnée si elle souhaite réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie tout en maintenant ses objectifs climatiques. Orano et d’autres fournisseurs européens auront besoin de directives claires pour investir dans de nouvelles capacités, notamment dans des projets de MOX et de petits réacteurs modulaires (SMR). Cela nécessitera non seulement des clarifications sur la politique d’importation, mais également un soutien financier et des garanties pour stimuler ces investissements stratégiques.
La stratégie nucléaire européenne est à un tournant crucial. Un cadre politique harmonisé est essentiel pour donner aux acteurs du marché, comme Orano, la visibilité nécessaire pour investir et développer de nouvelles capacités. L’issue de cette politique aura un impact direct sur la stabilité énergétique de l’Union Européenne et sur sa capacité à atteindre ses objectifs de décarbonation tout en garantissant la sécurité de l’approvisionnement en électricité à long terme.