Du gaz russe va-t-il ou non en sortir à nouveau ? Le gazoduc Nord Stream, dont dépend la sécurité énergétique de l’Europe, est emblématique de la dépendance du continent aux matières premières de Moscou.
55,5 milliards de mètres cubes
Nord Stream relie la Russie au nord de l’Allemagne, via deux conduites passant sous la mer Baltique de 1.224 kilomètres et d’une capacité totale de 55,5 milliards de m3 par an. En 2021, environ 40% des exportations de gaz russe vers l’UE passaient par Nord Stream.
Opérationnel depuis 2011, il appartient au russe Gazprom, qui en détient 51% des parts. Des énergéticiens européens -Eon, Wintershall, Gasunie et le français Engie- se partagent le reste du capital. Ce gazoduc est au cœur de la confrontation entre Européens et Russes
Depuis le début de la guerre en Ukraine. Arguant de l’absence d’une turbine en maintenance au Canada, Gazprom a diminué de 60% les livraisons via Nord Stream en juin. Un “prétexte”, selon Berlin, qui dénonce une décision “politique”. Il y a dix jours, il a été mis à l’arrêt pour maintenance. Et personne ne sait quelles quantités Moscou livrera jeudi à la réouverture programmée de la conduite.
“Infarctus économique”
Un arrêt de Nord Stream – ou une nouvelle diminution – serait d’autant plus problématique que les autres gazoducs reliant la Russie à l’Allemagne ne fonctionnent pas ou peu. Le Yamal, passant par la Pologne, a été arrêté en mai par Moscou en représailles à des sanctions européennes. Et le trafic gazier via l’Ukraine vers l’Europe centrale et l’Allemagne est réduit massivement depuis plusieurs semaines.
Or l’Allemagne achetait toujours début juin 35% de son gaz en Russie, un chiffre qui s’élevait à 55% avant la guerre. Si Nord Stream s’arrête, le secteur manufacturier craint un “infarctus économique”. La perte de PIB pourrait atteindre 6,5% de la richesse annuelle entre 2022 et 2023, selon des instituts économiques allemands.
Les ménages seront aussi touchés: le gaz alimente 55% du système de chauffage en Allemagne. Berlin appelle foyers et entreprises aux économies, mais n’exclut pas un rationnement. Chauffage des piscines, éclairage des bâtiments publics: de nombreuses municipalités allemandes réduisent déjà leur consommation.
Crise européenne
La crise gazière devrait toucher toute l’Europe. Berlin réexporte en effet 40% du gaz russe vers ses voisins, notamment République tchèque et Autriche. C’est pourquoi la Commission européenne a annoncé mercredi vouloir réduire de 15% la demande de gaz de l’UE dès “août”, n’excluant pas des réductions “obligatoires” pour les 27 en cas d’urgence.
“Une crise du gaz dans la principale puissance économique de l’Union européenne provoquera de la nervosité sur tout le continent”, estime Constanze Stelzenmueller, une experte pour le centre de réflexion Brookings Institution.
L’Allemagne pourrait être également contrainte de faire appel à la solidarité européenne pour récupérer du gaz. “C’est déjà ce qui se passe, avec des flux plus importants venant de Norvège, de Belgique ou des Pays-Bas”, commente Ben McWilliam, du Centre de réflexion européen Bruegel, à l’AFP.
Peu d’autres options
Pour remplacer le gaz russe, l’Allemagne investit des milliards dans la mise en place de terminaux permettant d’importer du gaz liquide par la mer, dont les premiers devraient être disponibles entre fin 2022 et début 2023. Berlin a aussi décidé de relancer la production dans certaines centrales à charbon. La prolongation du nucléaire fait même débat, Berlin ayant prévu en principe de renoncer à cette source d’énergie.
Sans Nord Stream, l’Allemagne risque de se retrouver à court de gaz dès mi-décembre, même avec une baisse drastique de la consommation. Si l’approvisionnement en gaz via Nord Stream reprend mais reste au faible niveau actuel – à 40% de la normale -, la pénurie arrivera en février 2023, selon des calculs faits à la demande du gouvernement.