Le gaz affluant depuis les pipelines Russes représentait environ un tiers de la demande des pays Européens en 2021. Le volume exporté vers le continent devrait probablement chuter à 80 Bcm en 2022 et ne couvrir que 20 % de la demande européenne globale.
La hausse des importations de GNL des Etats-Unis ainsi que la production de gaz de Norvège ont permis de limiter les répercussions de cette baisse. Néanmoins les Européens devront réduire la demande de gaz d’environ 10% grâce à des mesures d’efficacité énergétique et des économies d’énergie, selon Anne-Sophie Corbeau.
La chercheuse au Centre Global de Politique de l’Energie à Columbia (CGEP) et ancienne responsable de l’analyse du secteur gazier chez BP déclare :
« Nous serons en mesure de compenser la baisse des exportations de gaz Russe l’hiver prochain s’il n’est pas trop rigoureux et si nous pouvons toujours capter les flux de GNL. »
En effet, l’hiver doux de 2021-2022 en Asie associé aux restrictions de la politique zéro Covid en Chine avait entraîné un ralentissement de l’économie et une baisse de la demande en énergie. L’Europe avait ainsi pu détourner les cargos de GNL du marché asiatique, selon Anne-Sophie Corbeau.
Il est peu probable que la Chine lève ses restrictions de sitôt. Le gouvernement souhaite en effet éviter la transmission du virus lors d’évènements politiques majeurs prévus en octobre et mars 2023, selon Erica Downs du CGEP.
Une demande en gaz plus importante en 2023
L’analyste Anne-Sophie Corbeau craint en revanche que les deux prochaines saisons hivernales soient problématiques. Elle se base notamment sur le rythme de la mise en œuvre des projets de GNL constituant la source principale de ressources supplémentaires de gaz pour l’Europe.
Le programme du Qatar du North Field East et certains terminaux d’exportations des Etats-Unis ne devraient en effet pas voir le jour avant 2025. En conséquence, l’Europe devra procéder à des réductions de la demande de gaz plus importantes que prévu. Le déclin de la production nucléaire et hydroélectrique aura également un impact non négligeable, dans ce contexte.
À l’approche de l’hiver, l’Europe est en voie de compenser l’approvisionnement en gaz Russe qui s’élevait à 155 Bcm en 2021. Pour y arriver l’UE a du combiner une recherche de combustibles alternatifs, une hausse des importations de GNL et des économies d’énergie.
Le conseiller senior chez Blackstone et The Boston Consulting group, Iain Conn ajoute à ce sujet :
« L’Europe reprendra ces mesures afin de compenser la baisse des importations de gaz russe pour l’hiver 2023-2024, mais la tâche sera plus compliquée, en raison de la nécessité de réapprovisionner les stocks de gaz d’environ 70 Bcm. »
Un risque de récession
La capacité des Européens à se passer de gaz Russe à une incidence sur les perspectives d’évolution des prix du gaz. Iain Conn ajoute à ce sujet :
« Si l’Europe démontre qu’elle peut tenir sans le gaz Russe, il n’y aura pas de logique à ce que les prix du gaz naturel soient à $50 par MMBtu. Et à partir de là, il est probable que le marché se stabilise. Ce scénario pourrait se matérialiser en cours d’année prochaine, et même dans ce cas de figure les prix sont susceptibles de ne pas revenir aux niveaux historiques. »
Selon le vice-président et chef économiste d’Equinor Eirik Waerness l’Europe pourrait se priver du gaz Russe pendant deux ou trois ans. Mais cela impliquera de mettre en place des politiques de restriction d’énergie dans un contexte de crise du coût de la vie.
Des pans entiers des plateformes industrielles européennes subiraient alors une « désindustrialisation incontrôlée. » en effet les prix élevés du gaz risquent d’entraîner la fermeture des usines de fertilisant, d’acier et d’aluminium avec en prime la menace d’une récession.
La fragilité de la sécurité énergétique européenne
Equinor a accru le rythme de production de gaz de la Norvège de 10 % en 2022, selon Eirik Waerness. Si cette cadence de production est soutenable pendant un moment la Norvège n’a pas la possibilité de l’augmenter davantage. Le vice-président d’Equinor a également exprimé ses inquiétudes au sujet de la sécurité des infrastructures énergétiques suite aux récentes coupures sur Nord Stream et les suspicions de sabotage.
« La Norvège est un petit pays avec une surface côtière particulièrement étendue. En outre, nous avons 9000 kilomètres de pipelines transportant le pétrole et le gaz au Royaume-Uni et en Europe. Il est difficile de surveiller ces 9000 kilomètres de pipelines avec une poignée de navires de la Garde côtière. »
Tatiana Mitrova du CGEP estime quant à elle que Moscou se considère impliqué dans une « guerre hybride » avec l’Occident. La spécialiste de l’industrie et des marchés énergétiques Russes a déclaré que le but de cette guerre serait d’infliger « le maximum de dégâts pour l’Ouest. » Le Kremlin a déjà montré qu’il était prêt à sacrifier sa propre industrie gazière pour atteindre cet objectif selon elle.
« Toutes ces ressources développées pendant des décennies, la confiance et les relations bilatérales construites avec les clients européens, les contrats de longue durée, tout cela s’est volatilisé. Et je pense qu’il sera impossible de restaurer cette confiance, quel que soit le régime. »