L’électrification croissante des économies européennes, combinée à la montée en puissance des énergies renouvelables, redéfinit les paramètres de la sécurité énergétique sur le continent. Les interdépendances entre États, l’intermittence des sources de production et la pression sur les infrastructures existantes nécessitent une approche renforcée de la gestion des réseaux. Une étude commandée par Eurelectric et réalisée par Compass Lexecon souligne trois axes stratégiques pour stabiliser le système électrique et limiter les risques de rupture d’approvisionnement.
Repenser la planification du réseau électrique
Le modèle de planification du réseau européen reste marqué par des approches nationales fragmentées, alors même que l’intégration du marché de l’électricité impose une coordination accrue entre États membres. L’étude met en évidence l’urgence d’une planification plus prospective, intégrant plusieurs dimensions :
– Un développement accéléré des interconnexions pour réduire la fragmentation du marché et assurer une meilleure répartition des capacités de production.
– Une meilleure prise en compte des menaces géopolitiques dans la planification des infrastructures, en réponse aux récentes attaques contre des câbles sous-marins et gazoducs.
– Une adaptation aux risques climatiques, alors que la fréquence des tempêtes et épisodes extrêmes accroît la vulnérabilité des réseaux.
L’étude pointe un retard structurel dans la mise en œuvre des projets d’infrastructure, freinés par des procédures réglementaires complexes et des délais d’autorisation trop longs. Une accélération des processus d’approbation est jugée nécessaire pour anticiper les besoins futurs du réseau.
Renforcer la flexibilité et la résilience du système
L’intégration croissante des énergies renouvelables modifie les équilibres du système électrique, en augmentant la variabilité de la production. Selon Compass Lexecon, 175 gigawatts (GW) de nouvelles capacités flexibles seront nécessaires d’ici 2030 pour stabiliser le réseau.
Les principaux leviers identifiés sont :
– Le stockage stationnaire, via des batteries longue durée et des stations de pompage-turbinage, pour compenser l’intermittence des sources renouvelables.
– La réponse à la demande (Demand Side Response – DSR), qui permet d’ajuster la consommation en fonction des conditions de production et d’éviter les tensions sur le réseau lors des pics de charge.
– Une meilleure coordination des interconnexions européennes, pour optimiser la répartition de l’offre et réduire la nécessité de recours aux centrales de pointe fossiles.
L’étude insiste sur la nécessité de réformer les mécanismes de rémunération des capacités flexibles, afin de rendre ces solutions économiquement viables et d’inciter à leur déploiement rapide.
Adapter le cadre de marché aux nouveaux équilibres
Le modèle actuel du marché de l’électricité européen repose sur une tarification marginale indexée sur le coût des centrales les plus chères mobilisées à un instant donné. Ce fonctionnement, optimisé pour un mix dominé par les centrales thermiques, s’avère moins adapté à un système où les énergies renouvelables occupent une place prépondérante.
L’étude identifie plusieurs ajustements nécessaires pour améliorer l’efficacité du marché :
– Une meilleure intégration des signaux de prix pour refléter les contraintes du réseau et éviter les distorsions liées aux périodes de surproduction renouvelable.
– Une incitation renforcée à la flexibilité, via des mécanismes permettant une rémunération adéquate des capacités de stockage et de gestion de la demande.
– Une stabilité réglementaire accrue, indispensable pour garantir la rentabilité des investissements à long terme et éviter des fluctuations imprévisibles des cadres de soutien.
Les récentes tensions sur les prix de gros de l’électricité, exacerbées par la crise du gaz, illustrent la nécessité de réformer la structure du marché afin de mieux absorber les chocs externes et d’assurer la soutenabilité du modèle énergétique européen.
Une sécurisation du réseau conditionnée aux investissements
L’analyse souligne que la sécurisation du réseau électrique européen ne pourra être effective sans un cadre incitatif robuste, garantissant la rentabilité des investissements dans les infrastructures critiques. Si les plans nationaux de relance et les initiatives européennes telles que REPowerEU prévoient des financements pour le secteur, l’étude insiste sur l’importance d’une approche plus proactive des États pour aligner les objectifs de transition énergétique et de sécurité d’approvisionnement.
Les arbitrages qui seront effectués au cours des prochaines années façonneront la capacité du continent à assurer un approvisionnement électrique stable dans un environnement marqué par des incertitudes géopolitiques et climatiques croissantes.