L’Europe, en juillet 2021, proposait un paquet de mesures législatives regroupées sous la dénomination « Fit For 55 ».
Extension du marché du carbone au secteur maritime, fin des allocations gratuites et ciblage des secteurs de la construction et des transports sont au programme. Les négociations, qui auront lieu en 2022, s’effectueront dans un contexte de crise énergétique.
L’Europe veut réguler les émissions du secteur maritime
L’extension de l’ETS (Emission Trading Scheme) européen (marché carbone) au secteur maritime est une mesure phare du paquet « Fit For 55 ». D’autant que selon l’IMO (International Maritime Organization), 13% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Europe provenaient, en 2015, du secteur maritime.
Pire encore, sans intervention, les émissions de GES du secteur pourraient augmenter de 50% à 250% à horizon 2050.
En réaction, l’Union Européenne (UE) charge en 2018 la Commission Européenne (CE) de surveiller les actions de l’IMO en matière de régulation des émissions.
La même année, l’organisation internationale acte de nouveaux objectifs climatiques : -40% d’intensité carbone en 2030 par rapport à 2008 et réduction de 50% des émissions de GES d’ici à 2050.
Or, de nombreux acteurs du secteur demandent un doublement de ce dernier objectif, tandis que les mesures pour l’application de la stratégie se font attendre.
L’ICS craint la mise en place de quotas
En somme, l’inclusion du secteur maritime dans l’ETS européen marque la volonté de la CE d’accélérer le traitement des problématiques environnementales.
Mais l’ICS (International Chamber of Shipping), qui représente 80% de la flotte marchande mondiale, s’est positionnée contre l’expansion du marché carbone européen. Elle craint qu’une taxation régionale complique le commerce sans résoudre le problème des GES.
En revanche, l’ICS est favorable à la mise en place d’un système de taxation mondial du CO2. De plus, elle souhaiterait voir le revenu lié à cette taxe alloué à un fond pour le climat.
Celui-ci aurait pour mission de financer la transition du secteur des carburants conventionnels aux alternatifs.
La transition dans le secteur maritime
La transition des carburants traditionnels aux carburants renouvelables nécessite une infrastructure spécifique pour l’approvisionnement. Dès lors, cette transition est asymétrique en fonction des branches du secteur maritime. Pétroliers, porte-conteneurs et bateaux transportant des voyageurs ont leurs spécificités.
Les pétroliers et porte-conteneurs vont avoir plus de difficultés à effectuer la transition du fait d’une absence de route fixe. Leur flexibilité, qui était un avantage, se transforme en inconvénient, car le réseau d’infrastructures pour l’approvisionnement en carburants renouvelables est encore trop peu développé.
Les navires offshore et spécialisés opérant dans des zones précises transitionneront le plus facilement. Ils sont d’ores et déjà en train de tester différents carburants à faibles émissions de carbone tels que le méthanol, l’ammoniac et le GNL.
S’appuyer sur le GNL
Le gaz naturel liquéfié devrait avoir une place privilégiée dans le mix énergétique du secteur. Ses émissions de carbone sont plus faibles et pourraient permettre d’atteindre les objectifs de l’IMO d’ici à 2030. De plus, les perspectives d’évolution en GNL bio, synthétique ou l’utilisation de l’hydrogène comme carburant restent ouvertes.
Aujourd’hui, les coûts des combustibles de soute sont variés, mais les renouvelables demeurent plus chers. Le mazout à 0,5% de soufre est à $596 la tonne métrique, le méthanol à $480/mt et le GNL à $1629/mt.
En outre, l’UE souhaite également supprimer les quotas d’émissions gratuits dans certains secteurs. Mesure originellement mise en place pour ne pas créer de dissension trop élevée de la concurrence lors de la mise en place du marché.
Quotas gratuits contre compétitivité
Un certain nombre d’industries à forte intensité dispose donc aujourd’hui de quotas d’émissions gratuits. Mais la CE souhaite retirer progressivement ces allocations sur la période 2026-2036.
L’objectif est qu’aucun secteur n’échappe à sa responsabilité en termes d’émissions. Or, cette mesure contraindrait les industries à des coûts énergétiques plus élevés.
€65,80/mt de carbone en 2022
En 2021, le prix moyen du carbone était de €53/mt, en augmentation de 136% par rapport à 2020. Le mois de décembre 2021 a été particulièrement mouvementé avec un prix record de €90,75/mt le 8 décembre. En 2022, les prévisions de S&P Global Platts Analytics placent le prix du carbone à €65,80/mt.
Pour palier la perte de compétitivité due à la hausse du prix du carbone, l’Europe propose une nouvelle taxe.
Protectionnisme vert en Europe
L’UE souhaite donc mettre en place un mécanisme de protectionnisme vert. Le CBAM (taxe carbone aux frontières) est une taxe à l’entrée de la zone économique européenne. Elle obligerait les entreprises exportant en Europe à payer un prix du carbone équivalent à celui payer par les producteurs européens.
Cette taxe a un double objectif. Premièrement, de rétablir en partie la compétitivité des industries régionales sur le marché européen. Deuxièmement, de prévenir des délocalisations potentielles.
Ce droit de douane à l’importation s’appliquerait dans un premier temps aux industries du fer, de l’acier, de l’électricité, des engrais et du ciment. La France et le Parlement Européen sont de fervents défenseurs de ce mécanisme. Les pays exportant vers l’UE, en revanche, le perçoive comme une discrimination.
« Fit For 55 » dans un contexte de crise énergétique
Le paquet législatif de la CE sera l’objet de négociations en 2022. Celles-ci commenceront sous présidence française du Conseil de l’Europe et se poursuivront à partir de la mi-année sous présidence tchèque. Or, une crise énergétique a durement frappé l’Europe en cette fin 2021.
L’hiver froid, une production d’électricité des sources renouvelables réduite et des importations de gaz naturel diminuées ont mené à une hausse des prix de l’énergie. La conséquence principale pour les industries en Europe est la hausse des coûts de production. Cette crise souligne, entre autres, une dépendance encore forte aux énergies fossiles.
Dès lors, le paquet « Fit For 55 » interroge. Ses détracteurs reprochent des contraintes économiques trop élevées pour une transition dont l’Europe n’a pas encore les moyens.
Une forte volatilité sur le marché carbone et sur le marché de l’énergie placerait les industriels dans une situation d’incertitude, donc de vulnérabilité. Ainsi, les impératifs climatiques s’opposent aux intérêts économiques.