Une nouvelle génération à venir de petits réacteurs nucléaires américains attire collectivités et élus, jusqu’en Europe, mais la voie vers la commercialisation et l’exploitation est encore semée d’embûches, réglementaires et financières.
Lors d’une audition au Congrès, il y a quelques jours, la secrétaire américaine à l’Energie, Jennifer Granholm, a réaffirmé l' »importance de l’énergie nucléaire » dans l’offre d’électricité des années à venir aux Etats-Unis. En l’absence de nouveau projet de centrale traditionnelle et avec le vieillissement du parc existant, l’avenir de l’industrie repose sur les petits réacteurs de nouvelle génération, les SMR (small modular reactors).
« J’ai parlé à de nombreux responsables de régies publiques et (…) beaucoup disent vouloir construire des SMR et pas de grands réacteurs », explique William Freebairn, spécialiste du secteur chez S&P Global. Selon lui, il s’agit souvent de remplacer des centrales à charbon dans des régions reculées, où « la possibilité d’installer un réacteur classique est très limitée ».
L’élan est encouragé par le gouvernement américain, dont le paquet fiscal IRA (Inflation Reduction Act), voté l’an dernier, prévoit des crédits d’impôts atteignant jusqu’à 30% des investissements. Plusieurs entreprises américaines développent actuellement leur propre SMR, moins onéreux que leurs grands frères et, a priori, avec un délai de construction resserré et de moindres besoins en combustible, donc potentiellement moins de déchets nucléaires.
Un seul d’entre eux, le modèle de la start-up NuScale, a néanmoins été, à ce stade, validé par la Commission de régulation nucléaire (NRC) américaine, en janvier dernier, six ans après le dépôt de sa demande. « Les autres pays du monde qui sont intéressés par (le nucléaire) regardent de près ce qu’il se passe aux Etats-Unis et sont prêts à (passer commande) une fois que la NRC a donné son autorisation », souligne Bahram Nassersharif, directeur du programme d’ingénierie nucléaire à l’université de Rhode Island.
Basé à Portland (Oregon), NuScale tablait initialement sur une première mise en service de son petit réacteur d’une capacité de 77 mégawatts, contre environ 1.000 pour les centrales standard, en 2026 à Idaho Falls (Idaho, nord-ouest), mais il a dû repousser l’échéance à 2030. Le temps est compté, car outre les concurrents américains, d’autres pays, notamment France et Corée du Sud, travaillent à la production de SMR.
Quelque 70 à 80 projets coexistent dans le monde. La facture de la centrale NuScale a été récemment revue en hausse de 75%, à 9,3 milliards de dollars, dont 4,2 seront pris en charge par différents mécanismes publics. Le groupement de collectivités sous contrat avec NuScale a perdu des membres et doit impérativement s’engager à absorber un niveau minimum de production d’ici la fin de l’année, faute de quoi le projet pourrait être purement et simplement annulé. « Nous sommes à fond dans la recherche de nouveaux participants et nous visons aussi d’obtenir des membres actuels qu’ils augmentent leurs engagements », indique Stephen Handy, porte-parole du groupement, baptisé UAMPS.
« Beaucoup plus sûrs »
« Le projet initial est toujours le plus difficile », résume Chris Levesque, directeur général de TerraPower, qui doit prochainement mettre en chantier un prototype de son réacteur, baptisé Natrium et développé en collaboration avec GE Hitachi, à Kemmerer, dans le Wyoming, sur le site d’une centrale à charbon. « Il y a le coût de conception, qu’il ne faudra pas débourser pour les suivants, les autorisations réglementaires et l’expérience à acquérir, car c’est la première fois », explique le dirigeant de cette société créée par un groupe d’investisseurs emmené par Bill Gates.
A la différence du prototype de NuScale, à eau pressurisé comme les réacteurs conventionnels, le Natrium utilise la technologie dite des sels fondus, qui ne présente pas de risque d’explosion et ne nécessite pas d’enceinte de confinement volumineuse. Pour parvenir à mettre en service un réacteur dès 2027 à Champagne (Illinois), une autre start-up américaine, Ultra Safe Nuclear Corporation (USNC), a choisi une approche réglementaire qui lui permet de faire homologuer les différents éléments de son installation au fil de sa construction plutôt qu’une validation a priori de tout le projet.
A plus long terme, USNC veut proposer des réacteurs composés d’éléments standardisés, susceptibles d’être produits en usine puis acheminés sur site, ce qui réduirait sensiblement les coûts et les délais, explique Daniel Stout, responsable nucléaire de la société de Seattle (Etat de Washington). Les Américains restent divisés sur l’utilisation du nucléaire, même si la proportion de ceux qui y sont opposés a reflué depuis 2016, de 54% à 47% en 2022, selon un sondage de l’institut Gallup.
Les nouveaux acteurs du nucléaire américain présentent leurs SMR comme peu, voire pas susceptibles d’incident grave et d’irradiation ou de contamination, du fait de leur taille réduite et des technologies employées, qui excluent notamment la fonte du coeur du réacteur. « Nous voulons prouver aux régulateurs que nous n’avons pas besoin de plans d’évacuation massifs », clame Daniel Stout, « parce que notre conception exclut un accident qui le justifierait. »
« Les accidents majeurs ainsi que des incidents plus mineurs ont permis d’apprendre beaucoup, et ces leçons ont été incorporées dans les nouveaux modèles », selon Baham Nassersharif, pour qui « les nouveaux réacteurs sont globalement beaucoup plus sûrs que ceux de la génération précédente ».