Malgré le retrait de l’État fédéral américain de l’Accord de Paris et des mécanismes onusiens de financement climatique, la participation des grandes entreprises des États-Unis à la COP30 reste en nette progression. Près de soixante représentants de groupes du Fortune 100 sont présents à Belém, contre cinquante lors de l’édition précédente. Cette mobilisation traduit une stratégie d’adaptation aux pressions réglementaires extra-américaines, notamment européennes et asiatiques, perçues comme des risques commerciaux structurants.
Décorrélation stratégique entre Washington et les grands groupes
Le gouvernement fédéral a quitté l’Accord de Paris en janvier 2025 et s’est désengagé de plusieurs programmes multilatéraux, comme le fonds pertes et dommages ou les partenariats de transition juste. Cette posture politique crée un vide normatif que les entreprises comblent par une participation directe aux discussions climatiques internationales.
L’objectif des groupes présents ne relève pas d’une logique de responsabilité sociale, mais bien d’une gestion intégrée des risques. Les contraintes liées au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), à la directive européenne sur le reporting de durabilité (CSRD), ainsi qu’à l’augmentation des litiges climatiques, renforcent la nécessité de maîtriser les nouvelles normes en construction.
Impacts sur les secteurs technologiques, énergétiques et agroalimentaires
Microsoft et Google cherchent à sécuriser l’approvisionnement en électricité décarbonée pour leurs centres de données, tout en développant des outils de modélisation des risques climatiques. Le désengagement fédéral crée un espace commercial pour leurs plateformes d’intelligence climatique, désormais prisées par les acteurs privés.
Du côté des majors pétrolières, ExxonMobil et Occidental misent sur des technologies de captage et de stockage de carbone pour répondre aux pressions réglementaires tout en maintenant leurs flux fossiles. Ces stratégies s’inscrivent dans une logique de protection d’actifs exposés aux futures taxes carbone ou contentieux climatiques.
La finance face aux exigences extraterritoriales
Les grandes banques comme Citigroup participent à la COP30 afin d’anticiper les standards européens et asiatiques en matière de stress tests climatiques et de taxonomies vertes. Leurs filiales européennes seront soumises aux règles CSRD, indépendamment des décisions de la Securities and Exchange Commission (SEC), dont les règles climat ont été partiellement suspendues.
Le secteur financier cherche à harmoniser ses reportings et à intégrer les scénarios de transition les plus exigeants pour répondre aux attentes des investisseurs institutionnels et régulateurs non américains.
Vers une gouvernance climatique multipolaire
La présence d’acteurs non étatiques américains, tels que des entreprises, des gouverneurs ou des universités, est coordonnée par des coalitions comme America Is All In ou la We Mean Business Coalition. Ces structures pallient l’absence de leadership fédéral et facilitent l’alignement sur les régulations internationales les plus strictes.
L’Union européenne, le Japon et la Corée du Sud imposent des normes de plus en plus détaillées sur le contenu carbone des produits et le reporting extra-financier, ce qui transforme les négociations de la COP30 en espace de standardisation indirecte, plutôt qu’en simple forum diplomatique.
Conséquences sur le commerce et la géopolitique
Le CBAM agit comme une quasi-tarification du carbone sur les importations américaines intensives en émissions, tandis que la CSRD impose un reporting détaillé aux groupes non européens au-delà d’un certain chiffre d’affaires. Ces deux dispositifs influencent fortement les choix d’investissement, la localisation des chaînes d’approvisionnement et les prix de transfert.
En parallèle, le retrait américain crée un vide dans la gouvernance scientifique, comblé par des plateformes privées de données climatiques comme Planet Labs ou GHGSat. Ces acteurs cherchent à faire reconnaître leurs standards dans les négociations, notamment sur les marchés carbone.
Des entreprises en quête de sécurité réglementaire
La stratégie commune des entreprises américaines présentes à la COP30 consiste à adopter les standards les plus stricts pour éviter la fragmentation réglementaire et réduire le risque de contentieux. Ce choix reflète une anticipation d’un cadre mondial qui dépassera la politique américaine à court terme.
La présence active des grands groupes américains à Belém montre que la transition énergétique s’impose aujourd’hui comme un enjeu de conformité globale, dont l’architecture dépend de la capacité à influencer les règles du jeu international.