Plusieurs constructeurs automobiles croient en l’utilisation des électrocarburants, produits à partir de CO2 et d’hydrogène, pour remplacer une partie de l’essence dans leurs réservoirs. Ces carburants de synthèse, ou « e-fuels », sont produits en combinant de l’hydrogène et du CO2. Pour que ce processus soit neutre pour le climat, il faut que l’hydrogène soit produit via de l’électricité décarbonée, et que le dioxyde de carbone soit capturé dans l’air, les émanations industrielles ou issu de la biomasse. Ils ont les mêmes propriétés que l’essence ou le diesel, et peuvent être utilisés purs ou mélangés à du pétrole sans avoir à modifier le moteur.
Tout en prenant à fond le virage de la voiture électrique, de nombreux constructeurs automobiles fantasment sur l’avenir des e-fuels. Porsche a investi dans une usine pilote dans le sud du Chili, profitant des vents très forts de la région pour produire de l’électricité décarbonée. BMW et Volkswagen (propriétaire de Porsche et d’Audi, qui s’y intéresse aussi) ont défendu récemment les électrocarburants, utilisables dans « un grand nombre de voitures existantes » mais aussi pour « les segments de niche », selon le patron de Volkswagen, Oliver Blume. Ferrari explore cette voie en Formule 1 avec son partenaire pétrolier Shell. Renault et Stellantis s’y intéressent aussi, notamment en partenariat avec le géant saoudien du pétrole Aramco, qui doit lancer une usine de carburants synthétiques (pour l’aviation, la marine et la route) en 2024 en Espagne, avec le pétrolier Repsol.
Cependant, cette technologie est vivement contestée par des experts et ONG environnementales. Leur rendement énergétique est « très mauvais » par rapport à l’électricité ou l’hydrogène, « les procédés industriels ne sont pas prêts, leur production coûte cher et il y en aura relativement peu », énumère Nicolas Dore, de l’Agence française pour l’environnement (Ademe). L’agence voit plutôt une place pour ces nouveaux carburants dans les secteurs « très difficiles à décarboner », à commencer par le transport aérien. Par ailleurs, s’ils sont neutres en carbone, ils émettent toujours des dioxydes d’azote (NO2) et des particules cancérigènes, souligne l’ONG Transport & Environment (T&E). Selon l’ONG, les e-fuels sont un « cheval de Troie » de l’industrie automobile pour prolonger la vie des moteurs thermiques et risquent de retarder les investissements dans l’électrification.
La production complexe et énergivore des e-fuels pourrait également entraîner un coût à la pompe de 2,82 euros minimum en France en 2030, soit presque 50% de plus que l’essence ordinaire actuelle, selon T&E. Porsche, quant à elle, assure que ces carburants synthétiques seront vendus à long terme au même prix que l’essence, une fois leur production augmentée.
En fin de compte, bien que les e-fuels puissent être une solution pour les secteurs difficiles à décarboner, leur production est coûteuse et leur utilisation n’est pas encore prête pour le grand public. D’autres solutions plus matures et moins chères sont disponibles avec de meilleurs rendements énergétiques, comme l’électricité ou l’hydrogène. Il est important de ne pas retarder les investissements dans l’électrification en utilisant les e-fuels comme une solution à court terme pour prolonger la vie des moteurs thermiques.