L’EPR de Flamanville, en Normandie, s’apprête enfin à entrer en service. EDF a annoncé que le réacteur sera connecté au réseau électrique vendredi 20 décembre 2024. Cet événement historique marque une nouvelle phase pour l’énergie nucléaire française, qui n’avait pas vu de mise en service d’un nouveau réacteur depuis 1999, avec celui de Civaux.
Une mise en route très attendue
Le réacteur de Flamanville 3 est un projet d’envergure : il s’agit du quatrième EPR en fonctionnement dans le monde, et du 57ᵉ réacteur du parc nucléaire français. Avec une capacité de 1 600 MW, il est le plus puissant du territoire et permettra d’alimenter deux millions de foyers. Cependant, cette prouesse technologique a été marquée par des péripéties majeures, notamment un retard de 12 ans par rapport au calendrier initial et un coût final de 13,2 milliards d’euros, soit près de quatre fois le devis de départ.
Les essais, débutés en septembre 2024, ont permis une montée en puissance progressive du réacteur. EDF prévoit des ajustements supplémentaires jusqu’à l’été 2025 pour finaliser la phase de tests. Une fois pleinement opérationnel, le réacteur fonctionnera à 100 % de sa capacité jusqu’à sa première maintenance, baptisée « Visite Complète 1 » (VC1).
Le coût des ambitions
Dès ses débuts, l’EPR de Flamanville a illustré la complexité des grands projets industriels. Lancé en 2007, il a subi plusieurs revers techniques, notamment des anomalies détectées dans l’acier de la cuve et des défauts de soudure dans le circuit primaire. Ces problèmes, signalés par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ont engendré des retards considérables.
La facture financière, initialement estimée à 3,3 milliards d’euros, a explosé pour atteindre 13,2 milliards, selon EDF. En intégrant les coûts de financement et autres dépenses imprévues, la Cour des comptes a même évalué ce montant à 19 milliards d’euros.
Un projet emblématique pour le nucléaire français
Flamanville 3 est bien plus qu’un simple réacteur. Il incarne une relance stratégique du nucléaire en France, après une décennie marquée par des critiques et des crises. En 2022, une série de problèmes de corrosion sous contrainte avait entraîné une chute historique de la production nucléaire française, la contraignant pour la première fois en 42 ans à importer de l’électricité.
Cependant, EDF a réussi à redresser la situation. En 2023, la production nucléaire a augmenté de 15 %, atteignant 320,4 TWh, et les prévisions pour 2024 s’établissent entre 358 et 364 TWh. L’entrée en service de Flamanville renforcera encore cette dynamique, permettant à la France de conserver son statut de leader européen en matière de production nucléaire.
Un modèle technologique controversé
L’EPR est conçu pour offrir une sécurité accrue et une efficacité énergétique supérieure, mais il n’a pas échappé à la controverse. À ce jour, seuls trois autres réacteurs de ce type sont en fonctionnement : deux en Chine (Taishan 1 et 2) et un en Finlande (Olkiluoto 3). Tous ont connu des retards significatifs et des surcoûts, alimentant les débats sur la viabilité économique de cette technologie.
En Chine, les deux EPR de Taishan, mis en service respectivement en 2018 et 2019, ont connu des interruptions dues à des problèmes techniques, notamment de corrosion. Le réacteur finlandais, quant à lui, a démarré avec 12 ans de retard, après des différends juridiques et financiers entre le constructeur et l’opérateur local.
Un symbole de relance pour la France
Le raccordement de Flamanville intervient dans un contexte de redéfinition de la politique énergétique française. En février 2022, le président Emmanuel Macron a annoncé un plan ambitieux de construction de six nouveaux réacteurs EPR2, une version optimisée de l’EPR, avec une option pour huit supplémentaires. Ce choix stratégique vise à répondre aux défis de la transition énergétique tout en garantissant la souveraineté énergétique de la France.
Bien que le projet de Flamanville ait été lancé bien avant cette relance, il symbolise cette volonté de réinvestir dans l’atome. Ce choix reste néanmoins controversé. Les partisans du nucléaire soulignent ses avantages en matière de réduction des émissions de CO₂ et de stabilité de la production, tandis que ses détracteurs mettent en avant les risques, les coûts élevés et la gestion des déchets radioactifs.
Un enjeu géopolitique majeur
L’énergie nucléaire est aussi un levier géopolitique. Grâce à sa production excédentaire, la France exporte massivement de l’électricité vers ses voisins européens. En 2024, un record historique d’exportation nette, estimé entre 85 et 90 TWh, devrait être atteint. Ces exportations renforcent non seulement l’économie française, mais aussi son influence dans le débat énergétique européen.
Une leçon pour l’avenir
Les déboires de l’EPR de Flamanville rappellent les défis associés aux grands projets industriels. Cependant, ils offrent également des enseignements précieux pour l’avenir, notamment dans la conception, la gestion et le financement des futurs réacteurs.
Une perspective globale
À l’échelle mondiale, les projets d’EPR continuent de se développer, mais souvent avec prudence. Outre Flamanville, un autre réacteur est en construction au Royaume-Uni, sur le site de Hinkley Point. Là encore, le projet a rencontré des dépassements budgétaires et des retards significatifs.
L’avenir du nucléaire dépendra en grande partie de la capacité à tirer parti des innovations technologiques tout en maîtrisant les coûts et les délais. Pour EDF, l’EPR de Flamanville constitue une opportunité unique de démontrer la viabilité de cette technologie.
Flamanville 3, malgré ses défis, ouvre une nouvelle ère pour l’énergie nucléaire en France. Ce projet illustre à la fois les complexités et les promesses d’un secteur clé pour la transition énergétique. Le raccordement de ce réacteur au réseau marquera non seulement une étape pour EDF, mais aussi pour l’ensemble du paysage énergétique européen.