Les autorités irakiennes ont catégoriquement rejeté vendredi les accusations américaines concernant leur participation à des opérations de contrebande permettant à l’Iran de contourner les sanctions internationales. Le directeur de la State Oil Marketing Organization (SOMO), Ali Nizar, a déclaré à l’agence de presse étatique INA qu’il n’existe aucune opération de contrebande ou de mélange de pétrole dans les ports irakiens ou les eaux territoriales. Cette déclaration intervient après que Washington a exposé des réseaux complexes générant entre un et trois milliards de dollars américains par an, selon des sources du renseignement occidental et des rapports confidentiels consultés par plusieurs agences internationales.
Le département du Trésor américain a sanctionné en juillet 2025 six entités et quatre navires pour leur participation sciemment établie à l’acquisition, la vente, le transport ou la commercialisation d’hydrocarbures iraniens. Les sanctions visent notamment un réseau d’entreprises dirigé par Salim Ahmed Said, homme d’affaires irako-britannique, accusé d’avoir tiré profit de la contrebande de pétrole iranien présenté comme étant du pétrole irakien ou mélangé avec des hydrocarbures irakiens. Les documents officiels américains indiquent que Said contrôle VS Tankers FZE, anciennement connue sous le nom d’Al-Iraqia Shipping Services & Oil Trading FZE (AISSOT), une société basée aux Émirats arabes unis impliquée dans ces opérations depuis au moins 2020.
Mécanismes sophistiqués de détournement
Le système repose sur deux méthodes principales identifiées par les services de renseignement occidentaux. La première implique des transferts de navire à navire dans les eaux territoriales entre l’Iran et l’Irak, où le pétrole iranien est mélangé avec du pétrole irakien avant d’être vendu sur les marchés internationaux avec de faux certificats d’origine. Cette technique exploite la similitude chimique entre les pétroles iranien et irakien, rendant leur distinction scientifiquement impossible après mélange. La seconde méthode consiste à détourner le fioul lourd subventionné par le gouvernement irakien, initialement destiné aux usines d’asphalte nationales à des prix préférentiels de 100 à 150 dollars la tonne, pour le réexporter illégalement vers les marchés asiatiques où il se négocie entre 300 et 500 dollars la tonne.
Les volumes concernés atteignent des proportions industrielles avec entre 500 000 et 750 000 tonnes métriques de fioul lourd détournées mensuellement, équivalant à 3,4 à 5 millions de barils de pétrole. Les données de Middle East Economic Survey (MEES) révèlent qu’en mars 2024, l’écart entre les exportations officielles de fioul déclarées par la SOMO et les exportations réelles suivies par les services de renseignement maritime atteignait 315%, représentant environ 300 000 barils par jour non déclarés, valorisés à 14 millions de dollars quotidiens. Les ports de Khor Al-Zubair et Umm Qasr servent de points d’export principaux, tandis que Bassora constitue le centre névralgique des opérations de mélange.
Acteurs politiques et milices impliqués
Le réseau implique Asaib Ahl al-Haq (AAH), organisation paramilitaire chiite désignée comme organisation terroriste étrangère par Washington en janvier 2020. AAH, dirigée par Qais al-Khazali et comptant environ 10 000 combattants, contrôle 18 usines d’asphalte recevant des allocations de fioul subventionné et dispose de 16 sièges au parlement irakien. L’organisation, soutenue par le Corps des Gardiens de la révolution islamique iranien, a revendiqué plus de 6 000 attaques contre les forces américaines et de la coalition depuis sa création en 2006. Kataib Hezbollah, autre milice pro-iranienne désignée comme organisation terroriste, participe également au système en contrôlant plusieurs installations industrielles stratégiques.
Le Premier ministre Mohammed Shia al-Sudani, arrivé au pouvoir en octobre 2022 avec le soutien d’AAH et du Cadre de coordination dominé par les factions pro-iraniennes, fait face à des pressions contradictoires. Son prédécesseur, Mustafa al-Kadhimi, avait tenté de réduire la contrebande en augmentant le prix du fioul subventionné de 70 à 220 dollars la tonne et en ordonnant un audit des capacités réelles des usines d’asphalte. Ces mesures ont été largement annulées après l’arrivée d’al-Sudani, le prix étant ramené entre 100 et 150 dollars la tonne en janvier 2023, facilitant la reprise des opérations de détournement à grande échelle.
Campagne de pression maximale américaine
L’administration Trump a relancé en février 2025 sa politique de pression maximale contre l’Iran via le National Security Presidential Memorandum 2. Cette stratégie s’est traduite par dix rounds de sanctions ciblant spécifiquement les réseaux pétroliers iraniens entre février et août 2025. Les sanctions de juillet 2025 contre Salim Ahmed Said et son réseau marquent une escalade significative, exposant les mécanismes de corruption impliquant des membres du parlement irakien qui auraient reçu des millions de dollars en pots-de-vin pour falsifier des documents permettant de faire passer le pétrole iranien pour du pétrole irakien.
Un photographe de l’Agence France-Presse présent dans le sud de l’Irak mardi a documenté une campagne sécuritaire menée par la marine irakienne dans les eaux territoriales. Les forces navales ont inspecté les papiers et autorisations des navires pour vérifier la légalité de leurs activités, dans ce qui apparaît comme une tentative de démontrer la vigilance des autorités face aux accusations américaines. Cette opération médiatisée intervient alors que des responsables irakiens craignent que l’administration Trump n’impose des sanctions secondaires aux institutions irakiennes impliquées dans l’aide au contournement des sanctions iraniennes.
Les implications pour le marché pétrolier mondial restent substantielles. Les opérateurs commerciaux doivent renforcer leur diligence raisonnable sur l’origine des cargaisons en provenance du Golfe Persique, particulièrement celles transitant par les ports irakiens. Les analystes du secteur énergétique surveillent attentivement l’évolution de cette situation qui pourrait affecter jusqu’à 5% des approvisionnements pétroliers non déclarés circulant sur les marchés internationaux. La dépendance du gouvernement irakien vis-à-vis des milices pro-iraniennes pour maintenir sa stabilité politique complique considérablement toute tentative sérieuse de démantèlement de ces réseaux, créant un dilemme stratégique pour Bagdad coincé entre les exigences de Washington et l’influence de Téhéran.