L’Inflation Reduction ACT (IRA) a fait réagir en Europe, il ne s’agit que d’une continuité des politiques protectionnistes américaines. L’Europe, dont les intérêts sont gravement menacés par cette loi, se doit de répondre. Le désengagement américain pourrait également impacter sa stratégie vis-à-vis de Pékin.
L’IRA : un prolongement de la politique protectionniste américaine
Une distorsion de concurrence
L’inflation Reduction Act, est une loi américaine visant à juguler l’inflation, est présentée comme une loi sur le climat. Cependant, d’après Roman Kramarchuk, analyste chez S&P Global Commodity Insight, c’est en réalité une loi sur la politique industrielle. En outre, malgré le nom de cette loi, un rapport de Moodsy Analytics montre qu’elle n’aura qu’un effet modeste sur l’inflation. Au 4ème trimestre 2031, l’indice des prix à la consommation ne serait que 0,33% plus faible grâce à cette législation.
Le premier désaccord autour de l’IRA porte sur la production de véhicules électriques. Les dirigeants européens accusent les Américains de se livrer à un protectionnisme nuisant gravement aux intérêts du vieux continent. L’IRA prévoit un crédit d’impôt pouvant atteindre $7500 pour l’achat d’un véhicule électrique nord-américain, avec une batterie de la même provenance. Les véhicules produits en Europe seraient donc exclus du champ d’application de cette subvention. Les gouvernements européens affirment que ces subventions sont contraires aux règles du commerce international.
D’autre part, l’IRA contient également un volet de mesure sur l’hydrogène renouvelable qui doit inquiéter l’Europe. En effet, les subventions à la production d’hydrogène vert pourraient entraîner une fuite des investissements de l’Europe vers les Etats-Unis dans ce secteur. C’est notamment le cas de Plug Power qui portait une attention particulière au marché européen ces dernières années. L’entreprise s’en détourne désormais pour se concentrer sur le marché américain grâce aux réductions de taxes élevées sur l’hydrogène prévues par l’IRA.
Les puissances européennes ont montré de l’hostilité envers ce texte qui porte atteinte à leurs intérêts. Le Commissaire européen en charge du marché intérieur a notamment évoqué un recours auprès de l’OMC pour résoudre ce contentieux qui représente le ton protectionniste adopté par les Américains.
Une poursuite de la politique protectionniste
Joe Biden reste aligné avec l’approche unilatérale de Trump. Il ne reprendra pas les négociations d’accords bilatéraux tels que le TTIP avec l’UE. L’administration Biden concentre ses efforts sur le renforcement des capacités nationales de productions, notamment grâce à un investissement public conséquent depuis son arrivée au pouvoir. La principale différence entre les deux présidents est que Joe Biden se livre à ce que James Bacchus, ancien président de l’organe d’appel de l’OMC, appelle un « protectionnisme poli ».
Depuis son élection, le président américain n’a pas poussé le Congrès à réautoriser le Generalized System of Preferences (GSP) qui éliminait des taxes douanières sous certaines conditions aux pays en développement. De plus, le programme CHIPS and Science Act adopté en 2022 exprime également une préférence nationale américaine. Il subventionne notamment largement les producteurs domestiques de microprocesseurs. L’IRA ne constitue donc pas une mesure protectionniste isolée.
Une différence d’approche européenne
Alors que l’IRA exclut largement les producteurs européens du marché nord-américain, le commissaire européen au commerce, Valdis Dombrovskis, a rappelé que la Tesla Model Y était le modèle le plus vendu en Allemagne en septembre 2022. Cette performance n’a été possible que grâce aux subventions européennes dont bénéficient les producteurs étrangers. La réciprocité n’est pas de mise avec l’IRA. Ce cas est une illustration du décalage entre les deux entités dans l’approche du commerce international.
A cet égard, le discours de Christine Lagarde au cours des rencontres annuelles du FMI le 21 octobre 2021 est éclairant. La présidente de la BCE rappelle que la part du commerce international a cru beaucoup plus en Europe qu’aux Etats-Unis ces dernières années. Entre 1999 et 2019, il est passé de 31 à 54% dans la zone Euro. Dans le même temps, il n’a crû que de 23% à 26% aux Etats-Unis.
La forte intégration européenne la rend vulnérable aux mesures protectionnistes qu’entreprennent la Chine et les Etats-Unis. Derrière certaines mesures protectionnistes de ces deux pays se cache un changement de politique industrielle vers plus de sécurité au détriment de l’efficience des supply chains mondiales.
Ainsi, deux projets importants pourraient ne pas voir le jour sur le sol de l’Union Européenne. Il s’agit d’une part de l’usine géante de batteries de Northvolt en Allemagne. Son président a indiqué que la priorité du groupe était désormais l’expansion en Amérique du Nord. Tesla a évoqué des doutes similaires concernant également un projet d’usine de batteries en Allemagne.
En outre, l’UE et les Etats-Unis suivent des approches différentes en matière de lutte contre le changement climatique. L’Union Européenne adopte une approche largement fondée sur la réglementation, tandis que les Etats-Unis s’appuient sur les incitations. Une autre différence d’approche s’est fait ressentir durant la COP27. L’Europe a promis un soutien financier aux pays africains, alors que les Etats-Unis y semblaient réfractaires.
Une erreur stratégique américaine ?
Les réponses européennes
La réponse des Européens est pour le moment timide, se refusant à évoquer directement des mesures de rétorsion protectionnistes. Ils ne resteront pas pour autant impassibles. Les Etats-Unis et l’UE ont mis en place un groupe de travail pour tenter de trouver des compromis. Cependant, l’IRA est entré en vigueur en août 2022, et il ne semble pas y avoir eu d’avancées depuis. L’appel à un « réveil européen » d’Emmanuel Macron le 8 novembre s’inscrit dans l’envie de fermeté affichée par l’Union Européenne.
Le conseil de l’UE est parvenu à un accord sur le CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism) en mars 2022 pour répondre aux objectifs de « Fit for 55 ». Ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières voulu par l’UE a inquiété les politiques et les entreprises américaines. Les industriels craignaient que l’application de ce mécanisme impacte négativement le commerce et la production américaine. Ce mécanisme peut également être vu comme un outil protectionniste. D’autres mesures pourraient suivre si les Américains ne font pas de concessions concernant l’IRA.
Le protectionnisme pourrait compromettre la stratégie vis-à-vis de la Chine
Le désengagement américain du multilatéralisme laisse la voie libre à la Chine pour promouvoir sa propre vision de la mondialisation économique, sans référence à la démocratie ou aux droits civiques. Pékin gagne déjà du terrain auprès des pays émergents. Le protectionnisme des Etats-Unis pourrait contribuer à renforcer cette dynamique.
Pour conserver leur leadership technologique, les Etats-Unis limitent l’accès à leurs technologies aux entreprises chinoises. Cependant pour que cette stratégie soit efficace, il faut que ses alliés s’alignent sur cette politique. Sans la perspective d’un accès privilégié au marché américain, les Européens sont moins incités à suivre les choix politiques américains.
Le groupe de député Renew Europe a envoyé un communiqué pour fustiger l’IRA. Le groupe estime que cette loi va affaiblir l’Europe vis-à-vis de la Chine. L’adoption de l’IRA serait donc contreproductive selon eux, y compris pour les Etats-Unis.