L’Éthiopie s’est lancée en 2011 dans la construction du Grand Barrage de la Renaissance (GERD), un projet stratégique pour répondre à ses besoins énergétiques et favoriser son développement économique. Avec une capacité prévue de 74 milliards de mètres cubes et une production électrique annuelle estimée à 16 000 GWh, ce barrage est le plus grand d’Afrique.
Pour un pays où seulement 45 % de la population a accès à l’électricité, le GERD représente une solution cruciale. En doublant sa capacité énergétique, l’Éthiopie espère non seulement améliorer les conditions de vie de sa population, mais aussi devenir un exportateur d’énergie clé dans la région.
Cependant, le GERD ne se limite pas à une dimension nationale. Ses impacts hydrologiques concernent tout le bassin du Nil, une ressource vitale pour onze pays africains, dont l’Égypte et le Soudan, qui redoutent des perturbations majeures.
Les craintes des pays en aval
L’Égypte, qui dépend du Nil pour 97 % de ses ressources en eau, voit dans le GERD une menace potentielle. Les préoccupations se concentrent principalement sur les périodes de remplissage du réservoir et les impacts en cas de sécheresse prolongée. Le barrage d’Assouan, qui régule les ressources en eau de l’Égypte, pourrait voir ses niveaux critiques affectés, menaçant la sécurité alimentaire et énergétique du pays.
Au Soudan, les inquiétudes sont partagées entre les risques et les opportunités. D’une part, le GERD pourrait réguler le débit du Nil Bleu, réduisant les risques d’inondations. D’autre part, une gestion unilatérale du barrage éthiopien pourrait entraîner des déséquilibres hydriques, affectant les projets agricoles et les besoins domestiques.
Les défis techniques et politiques
Malgré une décennie de négociations, aucun accord juridique contraignant n’a été signé entre l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan. Deux points de désaccord majeurs subsistent :
1. La définition de la sécheresse prolongée : L’Égypte considère qu’un débit moyen annuel inférieur à 39 milliards de mètres cubes constitue une sécheresse, tandis que l’Éthiopie propose un seuil inférieur, à 35 milliards de mètres cubes.
2. Les politiques d’atténuation : Les pays divergent sur les niveaux de fonctionnement du GERD pendant les périodes de sécheresse. L’Égypte exige un abaissement à 595 mètres pour protéger le barrage d’Assouan, alors que l’Éthiopie craint que cette mesure ne limite sa production énergétique.
Des solutions collaboratives pour éviter la crise
Les experts recommandent une gestion concertée reposant sur des principes de partage équitable et une transparence accrue. Une étude récente propose des scénarios viables pour minimiser les tensions :
– Abaisser temporairement le niveau de fonctionnement du GERD : Pendant les périodes de sécheresse prolongée, réduire le niveau à 595 mètres pourrait minimiser les déficits hydriques en aval, tout en maintenant 87 % de la production énergétique optimale.
– Établir un seuil critique pour le barrage d’Assouan : Fixé à 165 mètres, ce seuil activerait des mécanismes de gestion concertée pour éviter une crise. La surveillance en temps réel du débit du Nil pourrait renforcer la réactivité des décisions.
Les impacts économiques d’un échec
Un manque de coopération autour du GERD pourrait entraîner des pertes économiques considérables. Pour l’Égypte, chaque milliard de mètres cubes manquant se traduirait par une perte de 0,9 milliard de dollars, principalement dans le secteur agricole. Cela affecterait également l’emploi et la sécurité alimentaire.
L’Éthiopie, de son côté, risquerait de ralentir l’exploitation du GERD et de perdre des revenus potentiels liés à l’exportation d’électricité. En outre, une gestion non concertée pourrait exacerber les tensions régionales, compromettant les opportunités de développement commun.
Recommandations pour une coopération durable
Plusieurs recommandations émergent pour surmonter ces défis :
1. Créer un comité régional de gestion : Une instance composée des trois pays pour superviser les opérations du GERD et coordonner les réponses aux sécheresses.
2. Promouvoir la transparence : Un échange de données hydrologiques en temps réel renforcerait la confiance et faciliterait la prise de décision.
3. Investir dans des projets conjoints : Des initiatives de conservation de l’eau et de modernisation des infrastructures agricoles pourraient réduire les impacts environnementaux et stabiliser les écosystèmes.
4. Adopter un cadre juridique contraignant : Un accord clair définirait les responsabilités et droits de chaque pays pour éviter les crises futures.