Renationalisation à 100% et changement de patron: le gouvernement s’apprête à réorganiser EDF, confronté à de lourds défis industriels et financiers. La Première ministre Élisabeth Borne a annoncé mercredi devant l’Assemblée nationale une renationalisation à 100%, déjà évoquée en mars par Emmanuel Macron.
Jeudi matin, le ministère de l’Économie a annoncé lancer “dès à présent” le processus de succession du PDG Jean-Bernard Lévy, afin de mettre “rapidement” en œuvre la renationalisation annoncée et les “chantiers d’envergure [qui] seront lancés par l’entreprise dans les prochains mois”.
Le mandat de ce polytechnicien de 67 ans, à la tête d’EDF depuis 2014, une durée remarquable, devait prendre fin au plus tard le 18 mars 2023. Amélie Henri, secrétaire nationale CFE-Unsa énergies pour EDF, s’inquiète. Elle craint que l’État désigne quelqu’un “inféodé” qui mettrait en place le projet de l’État.
Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a indiqué jeudi souhaiter “que la nouvelle direction d’EDF soit opérationnelle dès la rentrée prochaine”. “Il faut que ce soit quelqu’un qui maîtrise les grands programmes industriels, mais également qui ait le sens du compromis”, a-t-il ajouté sur Europe 1. D’ici à l’arrivée de son successeur, M. Lévy reste en fonction.
“Deux voies possibles”
“Nationaliser EDF, c’est nous donner toutes les chances d’être plus indépendants dans les années qui viennent en matière énergétique”, a défendu M. Le Maire.
“C’est une décision stratégique forte et nécessaire pour le pays”. “Nous avons inscrit 12,7 milliards d’euros en compte d’affectation spéciale du Trésor pour financer l’opération de nationalisation d’EDF, mais aussi “d’éventuelles autres opérations qui pourraient être nécessaires d’ici la fin de l’année”, a-t-il déclaré sans plus de précisions, à l’issue du Conseil des ministres.
Le gouvernement cite “notamment le lancement du programme de construction de six réacteurs nucléaires EPR 2 et la contribution d’EDF au développement accéléré des énergies renouvelables”.
Pour la renationalisation, jeudi, le conseil d’administration a évoqué “deux voies possibles” : la loi ou une offre de rachat pour sortir de la Bourse. Cette dernière serait la solution la plus rapide. Ainsi, l’État pourrait boucler l’opération d’ici la fin de l’année, selon une source proche du conseil.
Dix-sept ans après l’ouverture de son capital et son entrée en Bourse fin 2005, l’État détient près de 84% d’EDF, les salariés détiennent 1%, et des actionnaires institutionnels et individuels détiennent les 15% restants.
De lourds défis
Le groupe est fortement endetté. Il doit faire face à de lourdes charges financières, présentes et à venir, et de vastes chantiers industriels. Au moment où des agences de notation envisagent d’abaisser sa note, passer à 100% sous la houlette de l’État, avec une caution publique pleine et entière, vise à envoyer un signal de confiance, et permettre au groupe de mieux se financer, note-t-on de source proche du dossier.
Alors qu’environ la moitié de ses 56 réacteurs est aujourd’hui à l’arrêt, pour maintenance ou des problèmes de corrosion apparus récemment, EDF doit gérer l’entretien d’un parc vieillissant. Le gouvernement lui demande aussi de lancer un programme de nouveaux EPR, dont le seul modèle actuellement en construction en France, à Flamanville (Manche), accuse plus de dix ans de retard.
Plombé par une dette qui pourrait atteindre plus de 60 milliards d’euros fin 2022, EDF a en outre vu sa situation financière dégradée par la décision du gouvernement de lui faire vendre davantage d’électricité bon marché à ses concurrents. Une décision qui a quelque peu tendu les rapports entre M. Lévy et l’Etat.
Quant aux représentants du personnel, ils ont accueilli la nouvelle d’une renationalisation avec méfiance, craignant une restructuration plus vaste, dans le cadre de négociations menées sur le statut de l’entreprise entre Paris et Bruxelles.
“Tant que l’État ne nous indiquera pas précisément ses intentions et les contours du projet, on ne sera pas rassuré sur le devenir du groupe et notamment la préservation de son caractère intégré, important pour le groupe et le service public de la nation”, a souligné Mme Henri.