L’Arctique est, depuis quelques années, régulièrement présenté comme un « Nouvel Eldorado », tant pour le commerce que pour l’énergie. La région polaire regorgerait en effet de ressources, hydrocarbures ou renouvelables. En outre, le réchauffement climatique a permis cela d’entrevoir dans l’Arctique un passage plus rapide pour le commerce que les voies traditionnelles. La région devient donc un terrain de convoitises, rappelant quelque peu l’époque des Grandes Découvertes.
L’Arctique : l’un des plus grands réservoirs d’hydrocarbures au monde
L’Arctique a fait l’objet, en 2018, d’une réévaluation par l’US Geological Survey de ses ressources. Les dernières données datant de 2008. Il semblerait ainsi que 29% des réserves de gaz et 10% des réserves de pétrole encore à découvrir se trouvent en Arctique. Cela explique le fort intérêt des compagnies pour cet espace.
Les ressources de l’Arctique sont souvent surestimées. L’extraction est possible, mais elle nécessite des techniques de pointe, des coûts importants ainsi que des risques élevés. Si certains remettent en cause la rentabilité des ressources arctiques, des projets d’ampleur se multiplient.
Total développe Arctic LNG 2 : 19,8 millions de tonnes de GNL
Après le succès de Yamal LNG, Total a annoncé le 21 avril 2021 la mise en place d’Arctic LNG 2. Ce projet géant devrait produire annuellement près de 19,8 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL). Total montre ainsi sa capacité à produire des projets importants en Arctique, tout en respectant l’échéance et les budgets.
Néanmoins, de nombreuses multinationales pétrolières se sont désengagées des projets offshore en Arctique, considérant qu’ils ne sont pas assez rentables. En 2016, Shell a par exemple cédé son terrain de prospection dans l’Arctique Canadien à une ONG environnementale. Shell sert ainsi sa réputation, tout en se désengageant d’un projet trop coûteux, avec des risques opérationnels trop importants.
Ces décisions, avant tout économiques, sont souvent présentées comme l’illustration des préoccupations environnementales des firmes. Total déclare ainsi ne plus exploiter de pétrole offshore dans l’Arctique, en raison des risques environnementaux. Parallèlement, le groupe est le principal client du pétrole arctique Russe et multiplie les projets de GNL.
Exploiter l’Arctique, pour développer les énergies renouvelables
Outre ses ressources en hydrocarbures, l’Arctique pourrait jouer un rôle important dans la transition énergétique mondiale. L’Arctique est en effet la région où les recherches autour des énergies renouvelables sont les plus abouties. L’hydroélectricité, l’éolien, l’hydrogène ou encore la géothermie sont des ressources abondantes dans cet espace. Elles sont souvent mises en complémentarités, afin d’assurer la continuité électrique des pays.
L’hydrogène, pour être complètement décarboné, doit être produit via des ressources telles que l’hydroélectricité ou la géothermie. L’hydrogène vert est l’une des rares énergies propres tout au long de son cycle de vie. Il a l’avantage d’avoir de nombreuses utilisations, que ce soit dans l’industrie ou la mobilité.
Le projet HyPER d’hydrogène dans l’Arctique
Le projet arctique HyPER va dans ce sens : à l’horizon 2030, la Norvège souhaite bâtir une chaîne d’approvisionnement internationale en hydrogène. Sa production dépendrait essentiellement des immenses ressources hydroélectriques et éoliennes du pays. Il permettrait de produire tous les jours 500 tonnes d’hydrogène, correspondant à une production d’énergie annuelle de 7 TWh.
Il existe également des zones volcaniques en Arctique ayant un fort potentiel géothermique. L’Islande assure notamment 66% de ses besoins énergétiques totaux grâce à cette ressource. À terme, elle pourrait exporter massivement de l’électricité verte à l’international et sous forme d’hydrogène, afin de faciliter l’acheminement.
La Russie s’engage dans le renouvelable
Récemment, le Novatek Ob Project est devenu un projet d’hydrogène, tandis qu’il devait être un pilier dans la production de GNL Russe. Comment expliquer ce changement de paradigme ?
Face à la baisse annoncée de la demande d’hydrocarbures, la Russie est contrainte de s’adapter. Moscou est un acteur international pragmatique, qui promeut essentiellement son développement économique. L’hydrogène apparaît alors comme un moyen de rester compétitif.
En revanche, la multiplication d’exploitations tous azimuts risque de représenter à terme une véritable menace pour l’environnement arctique.
L’Arctique dans l’acheminement des ressources
Avec le récent accident du cargo Ever Given dans le Canal de Suez, les débats autour d’itinéraires commerciaux alternatifs ont ressurgi. Parmi elles, les routes polaires arctiques sont souvent mentionnées. La fonte accélérée des glaces arctiques depuis 2010 peut laisser entrevoir de nouvelles perspectives pour la navigation.
40% plus rapide que le Canal de Suez
Il existe deux passages principaux : le Passage du Nord-Ouest (PNO) et le Passage du Nord-Est (PNE). Le premier est situé dans l’Arctique nord-américain. Le second longe les côtes arctiques Norvégiennes et Russes.
Une portion du PNE, la Route Maritime du Nord (RMN), intéresse particulièrement. Le fret serait 40% plus rapide que lorsqu’il passe par le Canal de Suez. Outre la navigation à vocation commerciale, c’est surtout l’acheminement énergétique qui commence à en bénéficier.
18 millions de tonnes de GNL acheminées par la RMN
En février dernier, un méthanier russe a pour la première fois traversé la portion RMN du PNE en plein cœur de l’hiver. Ce voyage de Rotterdam jusqu’à la Chine a duré 11 jours, soit deux à trois fois moins que l’itinéraire normal. Cela marque une avancée pour le transport du gaz naturel liquéfié (GNL), dont la production augmente sans cesse en Arctique.
« En 2020, près de 33 millions de tonnes de fret ont été transportées le long de la route maritime du Nord, dont plus de 18 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié », ajoute le PDG de Sovcomflot, opérateur russe de transport d’énergie.
Parallèlement à la navigation, Moscou investit massivement dans des infrastructures d’acheminement d’énergies vers les principaux importateurs. Le gazoduc Yamal-Europe, d’environ 4.000 km, relie notamment les gisements gaziers du Yamal jusqu’à l’Europe de l’Ouest.
Un communiqué de Total à propos du projet Yamal LNG déclare ainsi : « Près de 16,5 millions de tonnes de GNL transiteront, chaque année, par le port de Sabetta (Sibérie). Toute la production de GNL est vendue à des clients européens et asiatiques, via des contrats de 15 à 20 ans ».
Parallèlement à l’Europe, la coopération sino-russe s’intensifie de plus en plus grâce à l’énergie. Le Power of Siberia est un grand projet de pipeline, permettant de relier la Sibérie à la Chine. Mis en service depuis 2019, des projets d’expansions permettrait une capacité d’exportation annuelle de gaz de 38 milliards de m3. Le projet d’expansion Power of Siberia 2 viendrait puiser du GNL directement dans les territoires arctiques Russes.
Le PNO Canadien : un exemple de l’Arctique préservé
Ainsi, l’Arctique fait face à une augmentation généralisée du trafic maritime et des activités industrielles. Tandis que la Russie multiplie des projets d’ampleur dans son territoire arctique, d’autres États tentent de préserver cet espace.
En termes économiques et commerciaux, le PNO semble incapable de rivaliser face au PNE Russe. Cela s’explique notamment par un manque d’investissement de la part du Canada. Par l’absence de mise en valeur de ce passage, le trafic ne concerne que quelques navires scientifiques et touristiques.
Le Canada tente ainsi d’établir un développement économique raisonné en Arctique, tenant compte des enjeux environnementaux. Dans cette optique, Ottawa peut désormais compter sur un nouvel allié : Joe Biden. Au cours du Sommet pour le climat, il a immobilisé des prospections pétrolières devant avoir lieu en Alaska. Donald Trump avait octroyé ces permis de forages à la fin de son mandat.
L’Arctique : un enjeu pour l’avenir ?
L’Arctique représentera à terme un enjeu de taille, aussi bien au niveau environnemental, énergétique que commercial. Néanmoins, tout cela paraît encore lointain. Le PNO est pour l’instant presque inutilisable, la RMN se limite encore à des trajets en été.
Les ressources ont été surestimées, et leur exploitation demeure complexe, coûteuse et risquée. Si l’exemple Russe témoigne des possibilités de développement du territoire arctique, il illustre également les dangers d’une exploitation déraisonnée.