Depuis son inscription dans la loi de 2023 sur l’accélération des énergies renouvelables, l’agrivoltaïsme est devenu un axe de développement stratégique pour les énergéticiens opérant sur le territoire français. Ce dispositif consiste à implanter des panneaux photovoltaïques au-dessus de terres cultivées, avec pour objectif une double production agricole et électrique. Actuellement, environ 200 projets sont actifs, mais plus de 2 000 sont en cours d’instruction.
L’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) estime que 300 000 hectares d’installations pourraient générer une production équivalente à celle des 57 réacteurs nucléaires français. L’association France Agrivoltaïsme affirme que « plusieurs milliers » de projets supplémentaires sont envisageables dans les prochaines années, tandis que les énergéticiens multiplient les précontrats avec les agriculteurs.
Des modèles économiques attractifs pour les exploitants
Sur le terrain, les montages financiers varient. Certains énergéticiens financent intégralement les installations, comme dans le cas d’une serre photovoltaïque de 4 hectares en Gironde, estimée à EUR 5mn à 6mn ($5.3mn à $6.4mn), exploitée par un producteur de kiwis. D’autres projets offrent des rentes annuelles de EUR 2 000 à EUR 3 000 ($2 140 à $3 210) par hectare pour les exploitants agricoles.
La production électrique affiche un coût moyen de EUR 70 ($75) par mégawattheure, ce qui reste inférieur à celui des panneaux installés sur des toitures. Ce positionnement économique attire fortement les développeurs, surtout dans des régions agricoles confrontées à des crises de rentabilité, comme dans le secteur viticole de la Gironde.
Des tensions foncières et une structuration encore fragile
Selon plusieurs observateurs, le principal risque porte sur la spéculation foncière. Environ 1 million d’hectares seraient déjà précontractualisés, soit dix fois plus que les surfaces susceptibles d’être réellement équipées dans les 25 prochaines années. Dans le département de la Vienne, près de 100 projets couvrant 2 000 hectares sont recensés. Des parcelles ont été revendues jusqu’à EUR 7 000 ($7 490) l’hectare, un niveau jugé préoccupant par certains élus.
Le député Pascal Lecamp, rapporteur d’une proposition de loi en commission, alerte sur les « effets pervers » du modèle et milite pour un développement « raisonné » ne dépassant pas 10 mégawatts crête par projet. Ce texte prévoit également une redistribution territoriale de la valeur générée, en partie via des prélèvements sur les bénéfices issus de la production.
Acceptabilité locale et ralentissements administratifs
La croissance rapide du secteur rencontre toutefois des résistances locales et réglementaires. L’association Les Prés Survoltés, qui regroupe environ 300 opposants, évoque des nuisances visuelles et des risques de « puits de chaleur » générés par les installations. Par ailleurs, le Conseil national de la protection de la nature met en garde contre un déploiement non coordonné et ses impacts potentiels sur la biodiversité.
La lenteur des processus d’autorisation, allant de trois à cinq ans, freine le rythme de concrétisation. France Agrivoltaïsme pointe également la difficulté d’accès aux postes-sources de raccordement, notamment pour les exploitations isolées.
Un potentiel électrique à encadrer
Pour répondre aux contraintes d’infrastructure, des solutions d’autoconsommation collective sont envisagées. Sur les 85% de surface agricole située loin des postes de raccordement, des projets de petite taille pourraient voir le jour, selon les partisans d’un modèle décentralisé.
Malgré les incertitudes, l’agrivoltaïsme reste perçu par ses promoteurs comme un levier potentiel pour consolider le mix énergétique français. Toutefois, le cadre législatif et économique devra évoluer pour équilibrer les intérêts des énergéticiens et ceux du monde agricole.