Le gouvernement roumain a adopté un décret d’urgence permettant la nomination d’un administrateur spécial pour superviser les opérations des entités locales détenues par des sociétés sous sanctions internationales. Cette décision vise principalement Lukoil, dont les actifs roumains représentent une part significative du raffinage et de la distribution de carburants dans le pays.
Un dispositif d’encadrement sans rupture juridique
La mesure permettrait à l’État de garantir la continuité des activités, sans procéder à une expropriation formelle. Le groupe conserve la propriété juridique de ses entités roumaines, mais perdrait le contrôle opérationnel si la gestion spéciale est activée. Cette solution vise à contenir les effets économiques d’un retrait précipité, tout en assurant la conformité avec les sanctions américaines et européennes.
Le décret prévoit également le transfert possible des droits d’exploration de Lukoil dans les blocs offshore Trident et Est Rapsodia, où l’entreprise détient 85 % aux côtés de la société publique Romgaz. Une base réglementaire a été posée pour permettre à Romgaz de reprendre la concession si nécessaire.
Éviter un vide dans l’approvisionnement pétrolier
La raffinerie Petrotel, située à Ploiești, traite environ 2,4 millions de tonnes de brut par an, soit près de 25 % de la capacité nationale. Elle constitue une infrastructure clé du réseau pétrolier roumain. Lukoil opère également 320 stations-service, générant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 11 Mds RON ($2.41bn).
Une fermeture ou un arrêt prolongé de Petrotel exercerait une pression directe sur l’approvisionnement en carburant et pourrait renforcer la position dominante des groupes concurrents, notamment OMV Petrom et Rompetrol. Le gouvernement affirme disposer de réserves suffisantes pour éviter une flambée des prix à court terme, mais les tensions logistiques restent possibles.
Trois acquéreurs potentiels en négociation avec Lukoil
Trois groupes non identifiés négocient actuellement le rachat des actifs roumains de Lukoil, dans une fenêtre de temps limitée par les licences générales de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) américain. Ces négociations sont présentées comme prioritaires par les autorités, afin de favoriser une transition rapide et ordonnée.
Le modèle roumain, en partie inspiré de la législation bulgare adoptée en novembre, autorise un contrôle opérationnel temporaire sans porter immédiatement atteinte à la propriété juridique. Cette flexibilité offre à Bucarest des leviers de pression pour encadrer les discussions sans interrompre les opérations.
Réduction ciblée de l’influence russe dans les infrastructures critiques
La possibilité de reprendre les droits d’exploration dans les blocs Trident et Est Rapsodia s’inscrit dans une stratégie plus large de sécurisation de la chaîne gazière offshore roumaine. Ces permis, peu prometteurs sur le plan géologique selon les résultats récents, conservent une valeur stratégique, notamment en raison de leur emplacement en mer Noire.
Le recentrage des investissements publics autour du projet Neptun Deep, porté par Romgaz et OMV Petrom, vise à faire de la Roumanie le principal producteur de gaz naturel de l’Union européenne à partir de 2027. Dans ce contexte, la maîtrise complète des actifs offshore est considérée comme un enjeu de souveraineté énergétique.
Conséquences pour Lukoil et risques juridiques potentiels
La mise sous tutelle opérationnelle d’actifs évalués entre $1.8bn et $2.5bn pour Petrotel seul limite les capacités de Lukoil à rapatrier des flux de trésorerie depuis la Roumanie. Cette pression s’ajoute à la baisse de 14 % de son bénéfice net constatée en 2024 et à la difficulté croissante de maintenir ses opérations en Europe.
Des précédents contentieux, notamment en Bulgarie, laissent entrevoir une possible réponse juridique de Lukoil devant des instances internationales. La Roumanie, pour sa part, justifie la mesure par des motifs de sécurité énergétique et de conformité aux régimes de sanctions.