L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié son Energy Policy Review Korea 2025, estimant que les objectifs climatiques de la Corée du Sud restent atteignables, mais uniquement sous réserve d’un doublement immédiat des investissements dans les renouvelables et d’une refonte structurelle du marché électrique. Le pays, dont le mix énergétique reste l’un des plus carbonés de l’OCDE, n’a produit que 1,2 % de son électricité à partir de sources renouvelables en 2022, soit la part la plus faible de tous les membres de l’AIE.
Un mix énergétique dominé par le thermique importé
En 2021, près de 77 % de l’énergie primaire de la Corée du Sud provenait de sources fossiles, avec une part de 29,1 % pour le charbon, 25,8 % pour le pétrole et 22 % pour le gaz naturel. Le pays importe environ 93 % de son énergie, dont la totalité du gaz naturel liquéfié (GNL), des volumes gérés à plus de 90 % par Korea Gas Corporation (KOGAS). En 2022, les importations de GNL ont atteint 46,4 Mt, avec le Qatar, les États-Unis et l’Australie parmi les principaux fournisseurs.
La structure du marché repose sur un modèle single buyer, où la Korea Power Exchange (KPX) centralise les achats auprès des producteurs, pour le compte de Korea Electric Power Corporation (KEPCO), chargée de la transmission, de la distribution et de la vente. En 2023, KEPCO a affiché une perte nette consolidée de KRW18.8tn ($14.3bn), en raison de l’explosion des coûts d’importation énergétique non répercutés dans les tarifs.
Le poids croissant du nucléaire et les limites du système actuel
Le nucléaire a produit 29 % de l’électricité en 2024, dépassant le charbon (27 %) et le gaz (24 %). Le plan de développement à l’horizon 2038 prévoit deux nouveaux réacteurs à grande échelle, un petit réacteur modulaire (SMR) et une montée en puissance du nucléaire à 35 %, avec un objectif global de 70 % d’électricité décarbonée, en combinant nucléaire et renouvelables.
Les filiales de production thermique de KEPCO (KOMIPO, KOEN, KOSPO, KOWEPO, EWP) restent toutefois exposées à un risque de dévalorisation d’actifs (stranded assets), notamment sur les unités charbon, dont certaines devront être fermées ou reconverties au gaz dans les dix prochaines années. La conversion d’unités charbon en cycle combiné gaz (CCGT) implique des coûts d’investissement estimés entre KRW200bn et KRW400bn ($150mn à $300mn) par centrale.
Un marché ETS à faible signal carbone
Le Korea Emissions Trading System (K-ETS), lancé en 2015, couvre 685 installations représentant près de 80 % des émissions nationales. En 2024, le prix moyen de l’allocation carbone coréenne s’est établi à KRW13 000 ($9,88) la tonne, contre plus de €70 ($76) sur le marché européen. Le 4ᵉ Basic Plan for the ETS (2026–2035) prévoit une augmentation de la part des quotas mis aux enchères (actuellement autour de 10 %), ainsi qu’un renforcement de la réserve de stabilité du marché.
Les allocations gratuites massives et le plafond d’émissions trop élevé ont limité l’impact du système sur les décisions d’investissement. L’introduction prévue d’un corridor de prix et la participation élargie d’intermédiaires financiers pourraient aligner le K-ETS sur les standards internationaux d’ici 2030.
Les renouvelables bloquées par le foncier et les infrastructures
Malgré un doublement de la capacité renouvelable entre 2017 et 2022, la Corée du Sud reste loin de ses objectifs. En 2022, 21,6 GW de capacité renouvelable étaient installés, dont 16 GW de solaire et 2,8 GW d’éolien. Les contraintes géographiques, la densité urbaine et les oppositions locales freinent l’extension des projets, en particulier pour l’éolien terrestre et les lignes à haute tension.
Le plan énergétique prévoit 32 GW d’éolien en mer d’ici 2038, dont 14 GW flottants. Le taux de curtailment sur l’île de Jeju atteint déjà 10 % sur certaines périodes, en raison de l’insuffisance du réseau. Les coûts de raccordement pour un projet offshore typique dépassent KRW100bn ($76mn), ce qui limite l’attractivité hors soutien public.
Des réformes réglementaires en cours mais encore incomplètes
Les amendements de 2021 à la loi sur l’électricité ont autorisé les contrats d’achat d’électricité de gré à gré (Corporate PPA), mais leur déploiement reste faible : moins de 600 MW ont été signés en 2023. Les principaux obstacles identifiés sont la complexité contractuelle, les frais de réseau et la faible disponibilité des projets connectés.
Un futur régulateur multi-énergies indépendant est envisagé pour superviser l’électricité, le gaz et l’hydrogène, mais aucune date précise n’a encore été annoncée pour sa mise en place. Ce régulateur permettrait de réduire l’influence des monopoles publics et de créer un environnement plus favorable à l’investissement privé.
Industries électro-intensives sous pression d’arbitrage géographique
Les grands groupes industriels coréens – Samsung, LG, SK, Hyundai, POSCO – représentent une part majeure de la consommation électrique nationale. La consommation d’électricité par l’industrie a dépassé 240 TWh en 2023, soit près de 60 % de la consommation totale. Ces groupes s’engagent dans des initiatives internationales comme RE100 et K-RE100, mais peinent à accéder à des PPA compétitifs et traçables.
L’écart de coût entre l’électricité sud-coréenne et les tarifs proposés aux États-Unis via l’Inflation Reduction Act (IRA) ou en Union européenne via les mécanismes de soutien à l’électricité verte incite certains industriels à envisager une relocalisation partielle de leurs capacités vers ces juridictions.
Hydrogène et stockage : leviers émergents mais encore incertains
La stratégie hydrogène actualisée prévoit une demande de 1,94 Mt d’ici 2030, dont une large part sera importée. Des corridors logistiques sont en cours de négociation avec le Qatar, l’Arabie saoudite, l’Australie et les Émirats arabes unis. KOGAS prévoit de reconvertir une partie de ses terminaux GNL pour l’hydrogène d’ici 2035.
Un marché des services de stockage est en phase de conception, avec des mécanismes de rémunération de la capacité et de la flexibilité attendus pour 2026. La Corée dispose déjà d’environ 1,2 GW de batteries lithium-ion installées, principalement pour la stabilisation réseau, mais la rentabilité des nouveaux projets reste conditionnée à la volatilité des prix de gros et aux règles de dispatch.