Les investissements gaziers ont bénéficié ces dernières années d’une croissance solide profitant d’un boom de la demande asiatique et américaine. En 2019, les investissements dans le gaz naturel liquéfié (GNL) avaient ainsi atteint un record de 65 milliards de dollars. Bien qu’en baisse en 2020 du fait de la pandémie, la hausse de ces investissements devrait se poursuivre à l’avenir. Pourtant, plusieurs éléments, dont une demande future incertaine et l’expansion de la finance verte, nous font douter d’une telle affirmation.
Les investissements gaziers et l’incertitude sur la demande future
Le premier élément d’incertitude pour les investisseurs potentiels renvoi au niveau futur de la demande de gaz. En effet, les prévisions varient très fortement selon le degré de pénétration des renouvelables (ENR) ou la résilience du charbon. Cela dépendra également beaucoup des politiques publiques et du respect des engagements pris lors de l’accord de Paris. Ainsi, on peut distinguer environ deux scénarios.
Dans le premier, le gaz bénéficie de son impact moindre en matière d’émissions de CO2 pour se substituer au charbon. Il profite également de sa flexibilité afin d’accompagner l’intégration des EnR comme capacité de réserve. Enfin, les technologies de capture et stockage du carbone (CCUS) font du gaz l’énergie pivot du boom de l’hydrogène. Dans ce scénario, la demande de gaz devrait presque doubler en Inde et en Chine d’ici 2040.
À l’inverse, pour atteindre les objectifs de Paris, la demande de gaz devra être réduite au niveau mondial. Le gaz sera ainsi remplacé par les EnR, l’hydrogène vert ou encore l’électrification du secteur résidentiel. La demande connaîtra dès lors un pic entre 2030 et 2040 avant de décliner rapidement jusqu’en 2050. Ce scénario n’est en soi absolument pas improbable, surtout depuis l’annonce chinoise d’une neutralité carbone à l’horizon 2060.
L’investisseur potentiel se retrouve donc confronté à une incertitude très forte quant à l’évolution de la demande future de gaz. Or, cette incertitude constitue un frein important aux décisions finales d’investissement (FID). Rappelons que les projets gaziers, GNL ou par gazoducs, ont une durée d’exploitation dépassant généralement une vingtaine d’années. En d’autres termes, l’incertitude de la demande à l’horizon 2040-2050 impacte considérablement les investissements gaziers d’aujourd’hui.
L’influence de la finance verte sur les investissements gaziers
Au-delà de l’incertitude pesant sur la demande future, les investissements gaziers dépendront en grande partie du verdissement de la finance. La finance « verte » fait en effet figure de nouveau paradigme financier avec la multiplication des critères dits ESG. Ces critères imposent des mesures rigoureuses en matière de réduction de l’empreinte carbone des projets financés. Ainsi, les acteurs du gaz devront s’assurer qu’ils minimisent au maximum l’impact environnemental de leurs activités.
Pour la filière, il s’agit d’un changement considérable de perspective avec un risque majeur d’augmentation des coûts. Des efforts très importants devront ainsi être réalisés afin de lutter contre les émissions de méthane. Par exemple, la réduction de la pratique très polluante du flaring constitue un enjeu fondamental pour l’avenir du secteur gazier. Ces efforts de décarbonation seront d’autant plus importants que vont se multiplier les normes environnementales contraignantes imposées par les États.
À l’heure actuelle, l’Union Européenne discute ainsi d’un prochain mécanisme d’ajustement carbone interdisant les importations trop polluantes. Au Canada, la Colombie-Britannique impose aux acteurs gaziers un certificat carbone limitant les émissions de CO2 et de méthane. De même, en Australie, le projet Gorgon LNG n’a pu bénéficier de financement qu’une fois installée une unité CCUS. De fait, les investisseurs contraignent de plus en plus le secteur à adopter des mesures strictes de décarbonation.
Cela passera notamment par une réduction drastique des émissions de méthane le long de la chaîne de valeur. Il s’agira également d’utiliser les énergies vertes afin de fournir en électricité les différentes étapes de la production. Enfin, les investisseurs poussent les compagnies gazières à acheter des crédits carbone pour favoriser la reforestation dans le monde.
L’impact de la compétitivité future sur les investissements gaziers
Toutes ces mesures auront bien évidemment un impact important sur le coût global de production du gaz. Ainsi, le simple équipement d’une unité CCUS ou l’achat de crédits carbone pourraient sérieusement entamer la compétitivité des projets. C’est par exemple le cas en Asie où le charbon reste encore extrêmement compétitif face au gaz. Bénéficiant d’une baisse continue de leurs coûts, les ENR constituent également un concurrent redoutable au niveau des prix.
Dans une étude publiée par l’Oxford Institute, des chercheurs ont estimé le prix du gaz compétitif pour chaque pays. Selon eux, ce prix ne doit pas dépasser les 8 dollars en millions de BTU (mmbtu) dans les pays développés. Pour les pays en développement ou pauvres, ce chiffre ne se situe plus qu’à 6 dollars par mmbtu. La clé pour le secteur gazier sera donc de ne pas excéder cette limite de prix afin de rester compétitif.
Pour la filière, il s’agira donc de faire un effort considérable pour limiter les coûts. L’une des options sera de maximiser la gestion de l’ingénierie au cours du projet notamment par la modularisation des équipements. De même, les actions de trading pourraient servir de marges de manœuvre utiles pour les acteurs gaziers. Enfin, ces acteurs devront se recentrer sur les actifs les plus rentables et les plus accessibles à l’avenir.
Les investissements gaziers se situent donc à un tournant. D’un côté, l’incertitude sur la demande à long-terme dissuade beaucoup d’investisseurs craignant la formation d’actifs échoués. D’un autre côté, les FID sont de plus en plus conditionnés à des objectifs de décarbonation faisant renchérir les coûts. De fait, cette double contrainte risque de favoriser le recentrage des activités gazières sur les actifs les plus sûrs.