Les innovations bas-carbone ont vu leur taux de croissance annuel ralentir depuis 2017 selon le dernier rapport sur le sujet de l’IEA. Cette tendance contredit les annonces récentes visant à renforcer les politiques publiques en faveur de l’Accord de Paris. Retour sur le rapport Patents and the Energy Transition d’avril 2021, mettant en exergue une nouvelle géopolitique de l’innovation en matière énergétique.
Une croissante insuffisante des innovations bas-carbone
Le rapport de l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) Patents and the Energy Transition sur les innovations bas-carbone constitue une synthèse indispensable du nombre de brevets déposés dans l’énergie. En cela, il permet de définir des tendances de long-terme sur l’évolution des technologies bas-carbone. Ainsi, entre 2000 et 2013, le nombre de brevets bas-carbone a augmenté en moyenne chaque année de 12,5 %. Cette croissance traduit un décollage de technologies, aujourd’hui matures, comme le solaire ou l’éolien sur cette période.
À l’inverse, les innovations ont vu leur taux de croissance annuel ralentir depuis 2017. Ces taux s’établissent à 3,3 % mettant fin néanmoins à trois ans de déclin entre 2014 et 2016. Une des clés pour comprendre ce ralentissement repose sur la baisse importante des prix du pétrole depuis 2014.
Une hausse insuffisante pour l’Accord de Paris
Le ralentissement du nombre d’innovations contredit fortement les annonces récentes visant à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. D’après le rapport, le nombre actuel de brevets bas-carbone ne permet pas de réduire suffisamment les émissions à l’avenir. Près de 35 % des émissions cumulées du budget carbone ne seraient ainsi pas couvertes par les innovations.
Autrement dit, le monde a intérêt à innover davantage dans les prochaines années afin de limiter la croissance des émissions. Beaucoup de technologies clés se trouvent ainsi en phase de démonstration et n’ont pas acquis ce statut d’innovation. Rappelons que l’innovation représente l’application commerciale d’une invention, le brevet n’étant que la protection juridique liée à cette innovation. De fait, beaucoup de technologies indispensables à la neutralité carbone sont encore loin d’être prêtes à se voir commercialiser.
Une évolution progressive avec baisse des innovations dans les EnR
Au-delà de ces aspects quantitatifs, le rapport de l’IEA s’intéresse à l’évolution même des innovations bas-carbone. Depuis 2017, nous assistons ainsi à une baisse des brevets déposés pour les énergies renouvelables (EnR). Cela traduit une certaine maturité du marché avec aujourd’hui la baisse des subventions publiques associées à ce secteur.
Si l’on s’en tient aux chiffres, l’énergie solaire constitue de très loin le premier poste d’innovation dans les EnR. L’innovation y est stimulée par le développement de nouvelles cellules photovoltaïques comme le pérovskite concurrençant les cellules à polysilicium. À l’inverse, le secteur de l’éolien est plutôt décevant en matière de brevets innovant trois fois moins que le solaire. Le nucléaire connaît quant à lui une relative marginalisation traduisant un manque de dynamisme depuis l’accident de Fukushima.
Une domination des véhicules électriques (EVs)
Si les brevets dans les EnR voient leur croissance diminuer, les innovations dans les véhicules électriques sont en pleine expansion. Le nombre de brevets a ainsi augmenté de 21 % dans ce domaine depuis 2017. Cela confirme l’envol de ce marché stimulé par la baisse impressionnante des coûts des batteries depuis une dizaine d’années.
Surtout ces chiffres traduisent le net avantage pris par les véhicules électriques sur les véhicules à hydrogène. Ces derniers pâtissent d’un nombre de brevets trois fois moins importants que leurs concurrents. L’hydrogène pourrait néanmoins dominer le segment du stockage stationnaire d’électricité si l’on s’en tient à ces statistiques de brevets déposés. Globalement, le recul des EnR et la montée des EVs dans les innovations peuvent transformer le paysage des technologies bas-carbone.
Une nouvelle géopolitique de l’innovation bas-carbone
Cette transformation des innovations bas-carbone aura un impact important sur la répartition géographique des brevets. Rappelons qu’un brevet permet de protéger une innovation, et donc une technologie, sur une durée pouvant aller jusqu’à 20 ans. Cela donne de facto un avantage compétitif pour le dépositeur de brevets ainsi que pour le pays de l’inventeur. En effet, capter les technologies émergentes est source de création d’emplois dans une économie mondiale fortement dépendante des technologies.
Les brevets constituent également un outil de rattrapage technologique pour les pays émergents comme la Chine. Celle-ci se voit notamment accusée de contraindre les entreprises occidentales à des transferts de technologie pour accéder à son marché. Ce fut notamment le cas dans le solaire et l’éolien terrestre, aujourd’hui largement dominés par les acteurs Chinois.
L’Europe domine en nombre d’innovations
Néanmoins, l’évolution des innovations bas-carbone depuis 2017 remet en question cet avantage compétitif de la Chine. D’après le rapport de l’IEA, Pékin n’est leader que dans les brevets liés aux nouvelles technologies de l’information. Elle se situe même à la traîne dans les technologies de véhicules électriques loin derrière la Corée dans les batteries.
En revanche, l’Europe est très bien placée en matière de brevets bas-carbone. La zone innove ainsi trois fois plus que la Chine sur ces technologies. Elle domine notamment sur les technologies utilisées dans l’éolien offshore, la géothermie, l’hydroélectricité et les énergies marines. À noter cependant que la Chine est avec la Corée la seule zone ayant connu une croissance de leurs innovations.
La Chine reste 1er représentant de l’innovation technologique
Autrement dit, la Chine se présente aujourd’hui comme le principal moteur de la croissance des innovations bas-carbone dans le monde. Ce rattrapage traduit une véritable poussée de l’État Chinois vers les segments de R&D dans les technologies bas-carbone. Depuis l’annonce du plan Made in China 2025, Pékin souhaite effectivement s’imposer sur ces technologies de la transition énergétique. Charge à l’Europe de maintenir son avantage compétitif dans un contexte de neutralité carbone d’ici 2050.