L’enthousiasme initial autour de l’hydrogène a perdu de son élan, forçant l’industrie à réajuster ses ambitions. Plusieurs acteurs majeurs du secteur, lors de la récente conférence Gastech, ont exprimé leurs préoccupations quant à la faisabilité des objectifs fixés pour 2030. L’anticipation d’un rapide développement des infrastructures de production et de transport se heurte à des obstacles réglementaires et logistiques, notamment aux États-Unis.
Les objectifs à court terme sont clairement sous-estimés, notamment en ce qui concerne la commercialisation de l’hydrogène. Selon Ana Quelhas, directrice de l’hydrogène chez EDP Renewables, la mise en place des cadres législatifs et réglementaires, essentiels pour soutenir ce marché, prend beaucoup plus de temps que prévu. L’industrie américaine semble d’ailleurs marquer une pause, en attendant des mesures plus concrètes pour stimuler la demande.
Standardisation : une solution pour maîtriser les coûts
L’un des principaux problèmes identifiés est le manque de structure et de planification rigoureuse des premiers projets. Beaucoup d’acteurs ont avancé des chiffres optimistes sur les coûts d’investissement et d’exploitation, sans tenir compte des réalités opérationnelles. Vinay Khurana, directeur du Claremont Operating Center chez Technip Energies, souligne l’importance de mener des études d’ingénierie approfondies pour identifier les projets viables.
Ce processus de clarification des coûts réels est une étape positive vers la maturité du marché. Margaux Moore, responsable de la transition énergétique chez Trafigura, exprime une frustration partagée par nombre d’experts du secteur face aux attentes irréalistes générées par le battage médiatique autour de l’hydrogène. Elle appelle à réajuster ces attentes pour aligner les projets avec les réalités technologiques et économiques des prochaines années.
La demande : le chaînon manquant pour la croissance
Malgré des avancées technologiques, la demande d’hydrogène reste insuffisante pour justifier des investissements massifs à court terme. Quelhas estime que les industries lourdes, telles que les raffineries et les producteurs d’engrais, représentent actuellement les principaux débouchés pour l’hydrogène propre. Cependant, cette demande reste fragmentée, ce qui freine le développement de projets à grande échelle.
Les projets doivent désormais adopter une approche décentralisée, en s’appuyant sur des infrastructures existantes pour limiter les besoins en logistique complexe. Ce modèle permettrait d’éviter la construction de chaînes de transport et de distribution coûteuses, encore largement absentes dans de nombreuses régions du monde.
Les freins réglementaires et économiques
Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act a permis de créer des incitations pour stimuler l’offre d’hydrogène, mais peu de mesures existent pour encourager la demande. Cette situation limite le marché américain à une position d’exportateur d’hydrogène, alors que l’Europe semble avancer plus rapidement grâce à un cadre réglementaire plus clair et favorable au développement de projets domestiques.
Pour Ahmed El Sherbiny, vice-président des fonds de transition énergétique chez Copenhagen Infrastructure Partners, la réussite des projets d’hydrogène repose sur une équipe de développement solide et une compréhension complète de la chaîne de valeur, incluant les sources d’énergie et les infrastructures nécessaires. Il souligne que des projets en Louisiane, liés à l’ammoniac bleu, ont échoué faute de sites de séquestration du carbone disponibles, illustrant l’importance de la planification intégrée.
Le défi de la transparence et de la reproductibilité des projets
L’un des éléments-clés pour favoriser les décisions d’investissement dans les projets d’hydrogène est la transparence des coûts et la standardisation des technologies. Khurana insiste sur la nécessité de projets plus uniformes pour permettre une réplication à grande échelle. Moore partage cette préoccupation, avertissant que la multiplication de projets « uniques en leur genre » risque d’entraver la croissance du secteur.
Les premiers projets devraient viser des « fruits faciles à cueillir », c’est-à-dire des initiatives moins ambitieuses mais réalisables, comme l’utilisation de gaz naturel bon marché aux États-Unis pour produire de l’hydrogène. Cette stratégie permettrait de démontrer la viabilité économique de l’hydrogène avant de s’engager dans des infrastructures plus complexes.
Une nouvelle phase de réalisme pour l’industrie de l’hydrogène
Alors que les premiers projets d’hydrogène peinent à décoller, il devient évident que l’industrie doit se recentrer sur des objectifs réalistes et une approche plus méthodique. La standardisation des technologies et la clarification des coûts sont des étapes essentielles pour débloquer des investissements à grande échelle et permettre à l’hydrogène de jouer un rôle central dans la transition énergétique. Toutefois, sans une demande soutenue et des incitations économiques claires, l’industrie risque de stagner malgré ses ambitions initiales.