L’hydrogène naturel, ou hydrogène blanc, autrefois considéré comme marginal, s’impose désormais comme une ressource stratégique majeure dans un contexte énergétique mondial marqué par la transition énergétique et les tensions géopolitiques. La confirmation récente de gisements en France et les premières estimations publiées par l’Institut Français du Pétrole et des Énergies Nouvelles (IFPEN) en coopération avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), changent radicalement la donne et suscitent un intérêt croissant parmi les acteurs industriels et financiers.
Des réserves massives : l’émergence de pôles énergétiques majeurs
Le rapport officiel présenté par le ministère français de l’Économie et de l’Industrie en juin 2025 indique explicitement que la Lorraine, en particulier le bassin houiller lorrain (Folschviller), détient un potentiel estimé à environ 46 millions de tonnes d’hydrogène natif. Ce volume colossal représente environ la moitié de la production annuelle mondiale d’hydrogène actuelle, estimée à environ 95 millions de tonnes par an, dont plus de 95 % sont issues de sources fossiles (gaz naturel, pétrole, charbon).
Le potentiel identifié à Folschviller par le CNRS et l’Université de Lorraine est particulièrement notable en raison de sa profondeur accessible, située entre 600 et 1100 mètres avec une concentration d’hydrogène estimée entre 6 et 15 % du gaz en place. Une extrapolation à une profondeur de 3000 mètres porte l’estimation totale à 46 millions de tonnes, plaçant ainsi la Lorraine au cœur d’un enjeu énergétique majeur pour les prochaines décennies (source : IFPEN, 2024).
Par ailleurs, le Bassin aquitain et le Piémont pyrénéen ont également été identifiés comme présentant un potentiel significatif. TBH2 Aquitaine détient déjà un permis exclusif de recherche (Sauve Terre H₂) sur une zone prometteuse des Pyrénées-Atlantiques, où les premières campagnes sismiques sont actuellement en cours. La société 45-8 Energy, en partenariat avec Storengy (filiale d’ENGIE), possède de son côté deux permis couvrant respectivement 266 km² dans les Pyrénées et 691 km² dans les Landes, où des études géophysiques approfondies sont également menées (source : Académie des sciences, 2024).
Au-delà de ces trois régions initialement évoquées, d’autres territoires français émergent dans les études en cours. En Auvergne-Rhône-Alpes, Sudmine explore actuellement une superficie de 5,9 km² dans le Puy-de-Dôme, où des données préliminaires indiquent également un potentiel important, renforçant ainsi l’hypothèse d’un gisement beaucoup plus vaste encore à confirmer.
Contexte européen : concurrence ou coopération énergétique ?
La France n’est pas la seule à s’être lancée dans la course à l’hydrogène natif en Europe. D’autres pays, tels que l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, initient des programmes exploratoires similaires. L’Espagne, par exemple, a démarré dès 2024 des études préliminaires dans la région de Castille-et-León, tandis que l’Allemagne s’appuie sur les capacités d’acteurs industriels tels que Storengy pour évaluer les ressources potentielles, bien que ces derniers n’aient pas encore publié de chiffres définitifs. En Italie, des travaux exploratoires sont également en cours dans les Apennins, sans que les résultats aient encore été officiellement communiqués à ce jour (source : Carnot M.I.N.E.S., 2024).
Cette dynamique européenne s’inscrit dans le cadre plus large du plan REPowerEU adopté par la Commission Européenne, qui identifie désormais explicitement l’hydrogène natif comme une ressource potentielle clé pour diversifier son mix énergétique et sécuriser les approvisionnements à long terme face aux instabilités géopolitiques liées aux combustibles fossiles.
Viabilité économique : des coûts compétitifs mais des défis techniques majeurs
Les premières analyses économiques présentées par l’Académie des Sciences française (2024) indiquent un coût d’extraction de l’hydrogène natif estimé entre 1 et 2 €/kg, contre 4 à 8 €/kg pour l’hydrogène vert issu de l’électrolyse de l’eau. Ces estimations placent l’hydrogène natif à un coût inférieur à l’hydrogène gris actuellement produit à partir du gaz naturel (1,5 à 2 €/kg). Toutefois, ces coûts restent conditionnés par les résultats précis des premiers forages exploratoires, prévus en 2026, et à la maîtrise des coûts d’infrastructures de stockage et de transport.
En effet, la gestion technique de l’hydrogène natif pose plusieurs défis complexes, notamment liés à sa volatilité extrême, à son faible poids moléculaire, à la difficulté de captage et aux infrastructures spécifiques nécessaires à son stockage souterrain. Ces éléments impliqueront des investissements massifs en amont. À titre d’exemple, la société TBH2 Aquitaine estime déjà à plusieurs centaines de millions d’euros les investissements nécessaires pour la première phase d’exploration et de captage industriel (source : Carnot M.I.N.E.S., 2024).
Environnement et acceptabilité sociale : des risques sous haute surveillance
Si l’hydrogène natif est présenté comme une énergie « propre » ne générant aucun CO2 lors de son extraction directe, l’impact environnemental réel reste à préciser, notamment en termes de risques de fuites pouvant affecter les ressources hydriques souterraines. De plus, la nécessité de forages profonds et d’infrastructures spécialisées peut entraîner des préoccupations locales concernant la qualité des eaux souterraines, la sécurité environnementale et l’acceptabilité sociale de ces installations.
Le cadre réglementaire français, mis à jour dès 2022, prévoit déjà des exigences très strictes en matière d’études d’impact environnemental et de concertation publique pour tout projet industriel d’exploitation d’hydrogène naturel. Toutefois, aucun mouvement d’opposition structuré n’est encore apparu à ce jour, la transparence et la pédagogie sur ces projets restent des conditions essentielles pour leur réussite à long terme.
Conclusion et perspectives stratégiques : une révolution en marche ?
La confirmation officielle de la présence significative d’hydrogène naturel en France place le pays devant une opportunité historique, à la fois énergétique, économique et géopolitique. Selon les estimations les plus optimistes de l’IFPEN, l’hydrogène naturel pourrait représenter entre 15 et 20 % de la consommation énergétique française à l’horizon 2040, permettant ainsi à la France de renforcer considérablement sa souveraineté énergétique et de devenir un acteur clé dans la redéfinition du paysage énergétique européen.
Cependant, la réalisation de ce potentiel nécessitera des investissements majeurs, une coordination étroite entre les pouvoirs publics et privés, ainsi qu’une gestion rigoureuse des défis techniques et environnementaux identifiés. Les premiers résultats de forages prévus d’ici fin 2026 détermineront en grande partie la trajectoire de cette filière prometteuse, mais encore largement à concrétiser.
Sources :
1. Rapport IFPEN-BRGM (2025) sur l’hydrogène natif en France
2. Carnot M.I.N.E.S. Livre Blanc « Produire, Stocker et utiliser l’Hydrogène » (2024)
3. Académie des Sciences, rapport « L’hydrogène aujourd’hui et demain » (2024)
4. Kamara (2024), stratégies d’utilisation du biohydrogène
5. Signoret (2024), Université de Franche-Comté, analyse stratégique de l’hydrogène natif
6. Rapport du ministère français de l’Économie et de l’Industrie (2025), perspectives nationales sur l’hydrogène natif
7. Commission Européenne, Plan REPowerEU (2024)