Un hub gazier en Europe centrale très important semble sur le point de se matérialiser en Europe centrale et orientale. La Pologne compte effectivement, connecter les réseaux gaziers de la Mer Baltique aux rivages de la Méditerranée. Afin d’atteindre cet objectif, Varsovie s’appuie sur une politique ambitieuse de construction d’inter-connecteurs et de diversification de ses sources d’approvisionnement. La compétitivité du transit constituera néanmoins un obstacle majeur à cette ambition dans un contexte de concurrence avec l’Allemagne
L’ambition polonaise de devenir un hub gazier en Europe centrale
Depuis le début des années 2010, la Pologne affiche l’ambition de devenir un hub gazier en Europe centrale et orientale. Cette ambition trouve sa source dans la relative faiblesse de l’intégration des marchés gaziers dans la région. Rappelons que contrairement à l’Ouest du continent, il n’existe pas à l’heure actuelle à l’Est d’équivalent du TTF hollandais. Autrement dit, le prix payé par les consommateurs en Europe centrale reste encore bien supérieur au reste du continent.
C’est pourquoi l’Union Européenne soutient un vaste projet d’interconnexion des réseaux gaziers régionaux appelé l’Initiative des trois mers (TSI). Cette initiative peut également compter sur le soutien des États-Unis avec le récent déblocage d’un fonds d’1 milliard de dollars. La Pologne, de par son poids dans la région, représente un élément clé dans cette stratégie. Varsovie utilise en effet cette initiative afin de faire progresser son agenda en matière de constitution d’un hub gazier.
Lors du sommet TSI de Bucarest en 2018, le pays s’était ainsi placé comme un élément moteur de l’intégration régionale. Par exemple, Varsovie avait réussi à s’entendre avec Vilnius pour la construction d’un inter-connecteur gazier d’ici fin 2021. De même, les réseaux polonais et slovaques seront totalement interconnectés à cette même période. Enfin, la Pologne espère la réalisation d’ici 2022 du gazoduc Baltic Pipe reliant la Norvège au terminal GNL de Świnoujście.
D’autres interconnexions avec la République tchèque et la construction d’un deuxième terminal GNL sont également à l’étude. Ainsi, Varsovie vise la constitution d’un grand corridor gazier Nord-Sud dans lequel elle serait la porte d’entrée des importations. Le gaz norvégien pourrait ainsi transiter par la Pologne avant d’être consommé en Slovaquie ou en République tchèque. Il en va de même pour le gaz liquéfié américain ou qatari.
La compétition entre Berlin et Varsovie
La Pologne ambitionne donc de devenir le pivot de l’intégration des marchés gaziers en Europe centrale et orientale. Pourtant, cette ambition dépendra en grande partie de l’attractivité de l’offre polonaise dans un contexte de concurrence avec l’Allemagne. Cette dernière affiche en effet des objectifs similaires à la Pologne en matière de hub gazier. Berlin compte ainsi utiliser sa position centrale afin de connecter les réseaux gaziers européens.
L’Allemagne bénéficie, il est vrai, de nombreux avantages compétitifs vis-à-vis de la Pologne. Tout d’abord, le pays possède un réseau gazier extrêmement développé et largement amorti financièrement. Ainsi, le gazoduc OPAL reliant l’Allemagne aux pays d’Europe centrale a été mis en service dès 2011. Cela permet aux allemands de minimiser leurs frais de transit et de proposer une offre attractive à leurs voisins.
À l’inverse, la construction d’interconnecteurs et de nouveaux gazoducs va peser sur les prix de transit polonais. L’opérateur national Gaz System devra effectivement amortir financièrement les coûts d’investissements réalisés récemment pour connecter les réseaux. À cela, il faut ajouter les différences de prix entre le gaz importé par Berlin et celui importé par Varsovie. En effet, cette dernière ne souhaite plus importer du gaz russe dès l’expiration du contrat gazier le 31 décembre 2022.
Or, le gaz russe reste encore aujourd’hui plus compétitif que son concurrent norvégien ou même les importations par GNL. D’après l’Oxford Institute, les importations de gaz russe seraient même 40% moins chères que le GNL américain. De fait, avec la construction possible du Nord Stream 2, l’Allemagne bénéficiera d’un énorme avantage en matière de prix. La Pologne payera dès lors une stratégie fondée principalement sur des motivations politiques.
Le dilemme de la sécurité énergétique
On retrouve ici l’une des principales faiblesses de la stratégie polonaise. Celle-ci s’appuie effectivement sur une vision essentiellement centrée sur la question de la sécurité énergétique. Varsovie compte ainsi utiliser son statut d’hub gazier afin de contrer l’influence de Moscou dans la région. En cela, elle se fait le porte-étendard de la position américaine d’une ligne dure vis-à-vis de la Russie.
Or, loin de suivre cette position, les pays d’Europe centrale et orientale n’entendent pas à renoncer au gaz russe. Leur stratégie consiste plutôt à utiliser l’interconnexion des réseaux gaziers afin d’augmenter leur pouvoir de négociation face à Moscou. La Lituanie avait ainsi réussi à obtenir des termes contractuels beaucoup plus favorables après le lancement de son terminal GNL. De fait, ces pays privilégient davantage la question du prix du gaz à la ligne anti russe défendue par Varsovie.
Pour cette dernière, la divergence stratégique avec ses voisins se révèle extrêmement problématique. En refusant catégoriquement d’importer du gaz russe dès 2023, le pays risque ainsi d’affaiblir ses capacités d’exportation. Ce paradoxe s’explique par le fait que les terminaux GNL et le Baltic Pipe répondent à peine aux besoins domestiques. Autrement dit, privée de gaz russe, la Pologne consommera la quasi-totalité de ses importations ne laissant aucune marge à l’export.
Par conséquent, la stratégie polonaise semble pour l’heure contreproductive pour réellement s’affirmer comme un hub gazier dans la région. En déclarant mettre fin à ses importations de gaz russe, Varsovie se retrouvera en effet limitée dans ses capacités d’exportation. De même, en privilégiant le GNL et le gaz norvégien, le pays propose une offre peu attractive à ses voisins. L’enjeu pour Varsovie sera dès lors de sortir d’une vision centrée sur la seule sécurité énergétique vis-à-vis de la Russie.