À côté de palettes fumantes sur le giratoire en face de la raffinerie ExxonMobil-Esso de Notre-Dame-de-Gravenchon, Pierre-Antoine Auger, 36 ans,délégué syndical central de Force Ouvrière et opérateur extérieur pendant près de la moitié de sa vie, réclame sa “part du gâteau”.
Parmi les quelques dizaines de mécontents au bord du rond-point, son collègue montre un article boursier sur son téléphone: “ExxonMobil tutoie ses sommets à Wall Street”.
“On ne peut pas dire qu’on soit mal payés”, concède M. Auger, “mais on ne veut pas de perte de pouvoir d’achat” à cause de l’inflation. Le salaire d’entrée ? “Moi j’étais à 1.600 le premier mois, il y a 7 ans”, lance un collègue. Le conflit débute en juin, l’inflation est déjà galopante en France et les salariés demandent une prime. La direction répond qu’elle avancera la négociation salariale annuelle qui a habituellement lieu en décembre à septembre, après avoir concédé 1.000 euros de prime et une revalorisation entre 3 et 4% en janvier 2022. La direction accepte une réunion en septembre, et calme les ardeurs pour l’été en promettant “quelque chose de conséquent pour septembre”, que les salariés ne seraient “pas déçus”, selon la CGT.
Le 20 septembre, FO, CGT, CFDT et la CFE-CGC, les quatres syndicats présents au sein de l’usine, se retrouvent dans les bureaux de la direction à Paris.
L’intersyndicale FO-CGT demande un rattrapage de l’inflation 2022 et une couverture pour 2023 : 7,5% d’augmentation au total, et une prime de partage de la valeur (PPV) de 6.000 euros. Refus de la direction, qui pose une autre offre sur la table : 5% minimum brut d’augmentation ou 125 euros et 3.000 euros de PPV. Une partie des salariés, mis au courant par leurs représentants, arrête le travail immédiatement.
“Jamais vu ça”
La grève dure depuis 16 jours et personne ne craque. “Je suis là depuis 32 ans, voir les deux activités ici arrêtées aussi longtemps (chimie et pétrole NDLR), avec les unités vidées, je n’ai jamais vu ça”, témoigne Domingos De Jesus Mendes, consoliste de 55 ans.
“En chimie, il y a 80 à 90% de grévistes, côté pétrole un peu moins, en moyenne on doit être à 60-70%” poursuit-il, quand la direction parle de “35 % de grévistes en quart, moins de 5% sur les travailleurs de journée” sur ce site de Port-Jérôme qui compte 2000 salariés au total. Quel que soit le nombre de grévistes, rien ne sort de l’usine “par faute d’opérateurs pour remplir les camions-citernes”, et il en va de même à Fos-sur-Mer, l’autre raffinerie française d’ExxonMobil, où “100% des travailleurs ont décroché les premiers jours”, selon M. De Jesus Mendes. Ce mouvement se conjugue à la grève des salariés de TotalEnergies, pour d’autres raisons salariales, alors qu’une station-service sur 10 est privée de tout ou partie de ses carburants en France mercredi, a indiqué le porte-parole du gouvernement Olivier Véran. Et la situation pourrait durer : “les grévistes sont organisés pour durer, notre caisse de grève grossit”, prévient Germinal Lancelin, opérateur résine depuis 15 ans. Voire empirer car “il y a une demande de radicalité de la part des travailleurs” ajoute le secrétaire CGT chimie du site, deuxième syndicat majoritaire avec 200 adhérents. Même si un accord était signé aujourd’hui, “il faudrait 12 jours pour tout redémarrer”, précise pour sa part Pierre-Antoine Auger. La direction, elle, indique que son offre du 20 septembre – signée par le syndicat minoritaire CFE-CGC au bout de 11 jours et refusée par la CFDT – tient toujours.