Avec plus de 600 personnes sur le pont, le chantier est titanesque à EDF pour rebrancher un maximum de réacteurs à l’arrêt à cause de la découverte d’un phénomène de “corrosion sous contrainte”, des micro-fissures sur des circuits de tuyauterie qui plombent les résultats financiers et la production électrique.
“Corrosion sous contrainte” (ou CSC), de quoi parle-t-on?
La corrosion sous contrainte est un phénomène de dégradation connu dans l’industrie qui se manifeste par de micro-fissures sur quelques millimètres, non visibles à l’oeil nu.
Ce phénomène a été détecté à proximité de soudures sur des portions de tuyauterie en acier inoxydable: les circuits d’injection de sécurité (RIS), un circuit crucial qui permet d’envoyer des trombes d’eau pour refroidir le réacteur en cas d’accident – et celui de refroidissement à l’arrêt (RRA), utilisé quand la tranche est en maintenance.
Il s’agit de circuits auxiliaires au circuit primaire, qui évacue la chaleur dégagée dans le coeur du réacteur grâce à une circulation d’eau sous pression, dans ces boucles de refroidissement.
Le problème touche dans la plupart des cas les réacteurs les plus récents (1.300 MW et 1.450 MW), qui comportent des sections de tuyauteries plus longues, avec plus de soudures, donc plus fragiles.
Quelles conséquences?
Ce problème de corrosion a forcé l’arrêt de réacteurs pour vérifier et le cas échéant réparer les tuyauteries concernées par les fissures.
Cela a réduit la production d’électricité nucléaire à son plus bas niveau historique, en pleine crise énergétique, et provoqué des milliards d’euros de pertes cette année pour EDF, dont le gouvernement a prévu la renationalisation à 100%.
De fait, EDF comptait mardi encore 25 réacteurs à l’arrêt (sur les 56 du parc nucléaire), en raison de maintenances programmées ou de ce phénomène de corrosion.
Et le calendrier prévisionnel de redémarrage ne cesse d’être retardé, alors qu’EDF veut le maximum de réacteurs en marche au creux de l’hiver.
Une grève en septembre et octobre a encore prolongé des arrêts.
C’est une course contre la montre pour rebrancher un maximum de réacteurs et éviter les coupures hivernales: EDF mise sur le redémarrage de 15 réacteurs en novembre et décembre, pour un total de 46 réacteurs connectés au 1er janvier.
Combien de réacteurs sont touchés par ce phénomène?
Ces défauts ont été repérés en octobre 2021 sur le réacteur 1 de Civaux (Vienne). D’autres problèmes similaires ont été détectés ailleurs, conduisant EDF à contrôler l’ensemble de son parc.
Plus d’un an après, les vérifications montrent que 40 réacteurs sur les 56 répartis dans 18 centrales ne sont “pas ou peu sensibles au phénomène de CSC”.
Ils seront donc contrôlés en 2024-2025 lors de leurs arrêts programmés pour maintenance.
En revanche, 16 réacteurs sont considérés comme “sensibles ou fortement sensibles” au phénomène, a annoncé mardi EDF. Dans le détail, “10 réacteurs sont en cours de traitement et tous seront réparés d’ici début 2023″. Les 6 autres seront contrôlés en 2023.
Quel est le plan de bataille d’EDF?
Plus de 600 personnes sont mobilisées sur ces chantiers de réparation, dont une centaine de soudeurs et tuyauteurs hautement qualifiés des Etats-Unis et du Canada, appelés à la rescousse pour épauler des équipes françaises.
Contraintes par des limites d’exposition aux radiations, ces dernières étaient de fait sous-dimensionnées pour répondre à l’ampleur de la tâche: rien que sur un réacteur, un chantier dure en moyenne de 22 à 23 semaines, a précisé mardi Régis Clément, directeur général adjoint de la production nucléaire d’EDF.
EDF s’est voulu rassurant sur le déroulement de son programme de contrôle et de réparation. “On est vraiment au pic” du traitement, a résumé Régis Clément. “Aujourd’hui, la situation est assez stabilisée, on est sorti d’une situation de crise”.
EDF a mené un programme d’expertise métallurgique consistant à déposer des portions de circuit pour en vérifier l’état en laboratoire. Cela a nécessité des réparations pour 13 réacteurs même quand la corrosion n’avait pas été détectée (dans trois réacteurs).
A partir de l’été 2022, EDF a déployé une méthode d’examen non destructif “amélioré” consistant à contrôler l’état métallurgique par ultrasons, sans avoir à découper les tuyauteries, un gain de temps crucial.
Cette stratégie a été validée en juillet par l’Autorité de sûreté nucléaire, et EDF souhaite désormais l’inclure en 2023 à son plan de maintenance courant. Prochaine étape: rentrer dans une phase d’”industrialisation” des chantiers. “On est en train de tirer les enseignements de ce qu’on a fait en
matière de réparation qui doit faire l’objet d’un maximum de recopie”, selon M. Clément.