Le gouvernement irakien accélère les discussions pour organiser la cession de la participation de 75 % détenue par Lukoil dans le champ pétrolier de West Qurna-2, après les sanctions imposées par les États-Unis à la major russe. Le ministère du Pétrole mène des négociations avec ExxonMobil, qui pourrait reprendre l’actif stratégique situé dans le sud du pays, représentant environ 460 000 barils par jour, soit près de 10 % de la production nationale.
Un actif au cœur de l’équation pétrolière irakienne
Avec des réserves récupérables estimées à près de 13 milliards de barils, West Qurna-2 figure parmi les plus grands champs pétroliers au monde. Conçu pour atteindre à terme une capacité de 800 000 barils par jour, il constitue l’un des leviers de croissance identifiés par Bagdad pour accroître ses exportations au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés (OPEP+). Lukoil en détient actuellement l’exploitation via un contrat de service, en partenariat avec la compagnie publique North Oil Company.
Depuis fin octobre, Lukoil est officiellement classée sur la liste SDN (Specially Designated Nationals) par le Bureau du contrôle des avoirs étrangers (Office of Foreign Assets Control – OFAC) des États-Unis, gelant ses actifs et limitant ses capacités opérationnelles. Les flux financiers, logistiques et commerciaux en lien avec West Qurna-2 sont désormais strictement encadrés par des licences générales, autorisant uniquement les transactions nécessaires à la sécurité des opérations et à la cession des actifs.
Une fenêtre juridique pour reconfigurer la gouvernance
Bagdad a profité de la déclaration de force majeure de Lukoil, consécutive à une fuite sur un oléoduc, pour transférer temporairement l’exploitation opérationnelle du champ à Basra Oil Company et Maysan Oil Company. Ce basculement permet d’assurer la continuité des volumes exportés via le terminal de Tuba, sans rupture contractuelle brutale, tout en préparant l’arrivée d’un nouvel opérateur acceptable par les autorités américaines.
Les discussions portent principalement sur un transfert progressif de la gouvernance vers un acteur combinant expertise technique, ancrage régional et conformité aux exigences de l’OFAC. Outre ExxonMobil, des groupes comme Chevron, Carlyle Group et International Holding Company (IHC) des Émirats arabes unis sont également mentionnés comme candidats potentiels. Les contraintes réglementaires imposent toutefois une structure transactionnelle validée en amont par Washington.
Effets sur l’offre mondiale et la stratégie américaine
La remise en production du champ fin novembre a immédiatement rétabli un volume d’environ 460 000 barils par jour, ce qui a contribué à une détente des prix du brut sur les marchés internationaux. Le Brent a reculé de plus de 1 $/baril, les opérateurs intégrant la reprise rapide des exportations irakiennes comme un signal de stabilité temporaire. Toutefois, la vulnérabilité de l’infrastructure et la complexité géopolitique du dossier maintiennent une incertitude structurelle sur la fiabilité des livraisons.
Pour les États-Unis, le champ représente un cas test dans leur stratégie de sanctions : priver la Russie de revenus pétroliers sans déséquilibrer les marchés. En favorisant la cession à une major occidentale ou à un consortium régional aligné, Washington cherche à consolider sa position au Moyen-Orient tout en reconfigurant la carte énergétique dans un contexte de tensions prolongées avec Moscou.
Position de l’Irak dans l’OPEP+ et perspectives de production
L’Irak, régulièrement en dépassement de ses quotas de production, pourrait être soumis à de nouvelles pressions internes au sein de l’OPEP+ si la montée en puissance de West Qurna-2 se confirme. Une fois le transfert de gouvernance finalisé, l’État irakien envisage de renégocier le cadre contractuel avec l’opérateur entrant, en intégrant des engagements d’investissement sur les infrastructures critiques, y compris les pipelines et les installations de stockage.
La trajectoire future du champ dépendra également des capacités de financement et d’ingénierie de son futur exploitant. Les contraintes imposées par l’OFAC, les attentes des marchés et les équilibres internes à l’OPEP+ pèseront sur le rythme et la portée de l’expansion vers les 800 000 barils par jour initialement prévus.