Eni et Shell convoitaient le gisement OPL-245 situé au Nigeria ayant une capacité de plus de 9 milliards de barils de pétrole. En 1998, la Malabu Oil and Gas acquiert le gisement. Il a été révélé par la suite que l’entreprise appartenait à l’ancien ministre du Pétrole nigérian, Dan Etete.
Eni et Shell au cœur d’une vaste affaire de corruption
Les deux pétroliers acquittés
Le tribunal de Milan en première instance a rendu son verdict ce mercredi 18 mars après trois ans de procès. Shell et Claudio Descalzi, DG d’Eni, sont acquittés dans l’affaire des pots de vin (1,1 milliards USD$).
Le gouvernement nigérian n’exclut pas de faire appel du jugement et espère que l’enquête nigériane actuelle aboutisse. Les Pays-Bas ont de leur côté perquisitionné en 2016 les bureaux de Shell. En mars 2019, des procureurs ont annoncé que des poursuites pourraient être enclenchées.
Malgré leur victoire judiciaire, la perte financière est énorme pour les deux compagnies.
Retour sur l’histoire
« Une histoire à plusieurs couches de corruptions, de malversations et de complicité internationale » résume Matthew Page, associé au Programme Chatham House Africa.
En 1998, une société inconnue la Malabu Oil and Gas, remporte l’acquisition d’un champ pétrolier en Nigeria, l’OPL-245 d’une capacité de 9 milliards de barils. Or, il est dévoilé par la suite que l’entreprise appartient à Dan Etete, ministre du Pétrole nigérian de l’époque. Le gouvernement nigérian révoque alors la licence de Malabu en 2001.
La compagnie néerlandaise Shell profite de la situation pour acquérir 40% du champ pétrolier en 2002. Elle partage alors la production avec la Nigerian National Petreoleum Corporation (NNPC).
Mais en 2006, Malabu conclue un accord pour la réintégration complète de la licence en payant la somme de 210 millions USD$. Le gouvernement a en effet cédé aux pressions exercées par Etete. En réponse, Shell réclame 2 milliards USD$ de dédommagement.
Après plusieurs années de discussions, un accord est trouvé en 2011 : Malabu accepte de rendre le gisement au gouvernement pour la somme de 1,1 milliards USD$. Shell et son associé italien Eni payeront 1,3 milliards USD$ pour l’acquérir.
Problème, 1,1 milliards USD$ auraient atterris dans les poches de politiciens et de responsables de Malabu en majorité, mais aussi d’Eni et de Shell. En 2014, la Chambre des Représentants du Nigéria décide d’annuler l’accord.
Des accusations au sommet de l’État nigérian
Tout au long de cette histoire, des révélations ont montré l’ampleur du réseau de corruption. L’exemple le plus parlant est celui d’Etete, sous le coup d’un mandat d’arrêt du Nigéria depuis avril 2019. L’ex-président Jonathan (2010-2015), et sa ministre du Pétrole de l’époque, Alison-Madueke, sont également pointés du doigt.
En 2018, deux intermédiaires, le nigérien Emeka Obi et l’italien Di Nardo, ont été condamnés à quatre ans de prison par la justice milanaise. La banque américaine JP Morgan est accusée, elle, de négligence devant la justice britannique dans le transfert de 875 millions USD$ à Malabu. Un procès de six semaines pourrait avoir lieu dès novembre 2021.
5 milliards USD$ pour le Nigeria
Selon Global Witness (2018), l’accord avec Shell a fait perdre 5,86 milliards USD$ aux caisses publiques nigérianes. Cela équivaut à deux fois le budget de l’éducation et de la santé.
Pour Matthew Page, « il s’agit d’un coup dur pour la gouvernance et la transparence des ressources naturelles au Nigéria ». En effet, depuis 2015, le président Buhari fait de la lutte contre la corruption son champ de bataille. Ce fléau engendre de graves conséquences économiques et sociales pour les dirigeants nigérians et sa population.
Principal producteur de pétrole d’Afrique, l’opacité du système nigérain reste donc un frein pour le développement du pays sur la scène internationale. L’absence de transparence et l’inexactitude des données de la NNPC sont régulièrement dénoncées. Selon les derniers chiffres de mars 2021, cette histoire aurait coûté plus de 5 milliards USD$ au Nigéria.