Le principal producteur américain de GNL, Cheniere Energy Inc demande une dérogation à l’administration Biden. La règle de la pollution mettrait en péril son activité et nuirait aux efforts du pays pour augmenter les livraisons vers l’Europe. Le contexte ne facilite pas le choix du gouvernement américain. Selon l’entreprise, les objectifs sur la sortie de la dépendance russe en Europe et sur l’environnement semblent incompatibles.
Retour sur la législation américaine en cause
La loi américaine sur la qualité de l’air, appelée National Emissions Standards for Hazardous Pollutants (NESHAP), prévoit d’imposer des restrictions sur les émissions cancérigènes. Ces émissions sont connues sous les noms de formaldéhyde et de benzène issus des turbines à combustion fixes.
La surchauffe du méthane générée par les turbines à gaz émet ces polluants cancérigènes. Par conséquent, l’Environmental Protection Agency (EPA) a dressé une liste comptant environ 250 turbines à gaz américaines soumises à la règle. Selon une annonce de l’EPA, cette règle sera applicable à deux types de turbines à gaz, à partir d’août prochain. Pourtant, la première norme pour les turbines à combustions fixes dans le cadre du NESHAP remonte à 2004.
Toutefois, à l’époque, l’EPA émet une « suspension » qui exclut temporairement les deux types de turbines à gaz courantes dans le secteur de l’énergie. Cette suspension découle de la demande des groupes d’entreprises de ne pas être soumis à la réglementation. L’argument avancé est que leur niveau de pollution est « négligeable ».
L’agence américaine maintient cet accord tacite pendant 18 ans, malgré son caractère illégal. En 2007, la Cour d’appel fédérale de Washington précise dans une décision que l’agence ne pouvait pas faire de dérogation.
En février 2020, les groupes environnementaux menacent l’agence d’entamer des poursuites judiciaires notamment pour inaction. Dès lors, l’administration Biden annonce la suspension de cette dérogation, obligeant le respect de la norme par tous les opérateurs.
Cette législation implique de limiter les émissions des turbines à 91 parties par milliard de formaldéhydes dans un délai de 180 jours. L’EPA justifie ce niveau pour garantir des émissions plus faibles pour d’autres produits chimiques dangereux.
La position de Cheniere Energy Inc
Il en résulte que Cheniere se retrouve particulièrement impacté par la législation américaine. La société américaine de GNL est la seule à utiliser ce type de turbines. Elle estime à « plusieurs années » la modernisation de ses 62 turbines. L’entreprise ne sera donc pas en mesure de respecter à temps la loi fédérale.
Il est également difficile d’équiper les deux installations de GNL en Louisiane et au Texas de dispositifs pour lutter contre la pollution. Cheniere ne justifie pas ce choix. Elle indique uniquement la conformité des installations avec la réglementation en vigueur au moment de la construction.
Dans le Texas, la société basée à Houston a déjà obtenu pour son usine de GNL à la périphérie de la ville de Corpus Christi, une dérogation concernant les émissions d’autres polluants.
Au printemps, Cheniere et les responsables de l’EPA se sont rencontrés et ont discuté sur la législation litigieuse.
Dans une lettre envoyée par e-mail à l’administrateur de l’EPA, Michael Regan, le 8 mars, le cabinet d’avocats Bracewell de Cheniere a déclaré:
« La conception des terminaux GNL de Cheniere est complexe et les turbines en question sont situées sur des socles surélevés avec un espace limité pour l’installation d’équipements de contrôle. […] Imposer potentiellement des coûts importants et des perturbations opérationnelles à l’industrie américaine du GNL alors que l’administration se concentre sur le besoin stratégique de l’Europe de rompre sa dépendance au gaz russe est contre-productif. »
Ainsi, Cheniere demande à l’EPA d’alléger la réglementation en la matière. L’entreprise est actuellement dans l’attente d’une réponse officielle de la part de l’agence concernant sa demande d’exemption.
Prochainement, les turbines proposées par l’entreprise pour les trains seront électriques et non à gaz, d’après une déclaration faite à Reuters.
Le dilemme de l’administration Biden
En outre, l’administration Biden fait face à un dilemme. La réduction des exportations américaines de GNL pendant des mois ou des années ralentirait la sortie de l’Europe de la dépendance russe. A contrario, une réponse positive du gouvernement à Cheniere ne permettrait pas de tendre vers une industrie net-zéro.
En mars, Biden a annoncé augmenter les expéditions de GNL vers l’UE. Le volume promis représente jusqu’à 50 milliards de mètres cubes par an d’ici 2030. C’est le double de la quantité envoyée par les États-Unis en 2021.
À noter, Cheniere dispose d’une marge de manœuvre. L’entreprise fait partie d’un panel d’entreprises qui conseille le gouvernement américain et un groupe de travail soutenu par l’UE. Cet audit vise à élaborer un plan pour se séparer du gaz russe. Ainsi, il reste à savoir si l’administration Biden fera un choix politico-économique ou environnemental.