La guerre en Ukraine a bouleversé la chaîne d’approvisionnement mondiale en combustible nucléaire. Les professionnels du secteur se voient contraints de revoir leurs plans et de boycotter la Russie.
Un bouleversement inédit dans le monde de l’énergie nucléaire
La guerre en Ukraine met en lumière l’interdépendance des acteurs, notamment à la Russie, de la chaîne d’approvisionnement mondiale en combustible nucléaire. Cette guerre, marquée par l’invasion russe en Ukraine, a forcé les acteurs du secteur à revoir leurs projets.
Pourtant, l’industrie nucléaire n’est pas habituée à subir des changements aussi rapides. En particulier, la construction de réacteurs nucléaires est un processus long qui peut prendre souvent 10 ans ou plus. De plus, leur fonctionnement s’étend sur plusieurs décennies.
De même, l’extraction de l’uranium peut s’effectuer sur plus d’un an afin de pouvoir être utilisé dans les réacteurs nucléaires. Les stocks de cet élément chimique servant de combustibles nucléaires sont donc à prévoir.
De surcroît, le boycott de la Russie entraîne la perte d’un fournisseur impliqué dans tous les aspects du cycle du combustible nucléaire, reconnu pour sa technologie et sa fiabilité tout proposant des prix relativement bas.
La situation actuelle de la dépendance russe
La Russie est un acteur clé dans le combustible nucléaire, surtout pour les pays de l’Est. Les anciennes républiques de l’URSS gèrent des centrales nucléaires issues du modèle soviétique. Les réacteurs soviétiques sont communément appelés VVER.
Dans la plupart des cas, la Russie est la seule source d’approvisionnement pour ces pays. De fait, les pays de l’Est ont souvent signé des accords exclusifs avec Rosatom sur le long terme.
En tant que partenaire fiable et compétitif, la Russie représente 40% de l’enrichissement dans le monde. À noter, les États-Unis enrichissent leurs réacteurs nucléaires à hauteur d’un cinquième de la part de la Russie.
Lors d’un appel avec des analystes le 5 mai, Tim Gitzel, le PDG de Cameco, a déclaré:
« C’est encore tôt, mais nous assistons à ce que nous pensons être un réalignement géopolitique sans précédent dans le cycle du combustible nucléaire. […]. L’industrie est maintenant confrontée au défi de démêler sa chaîne d’approvisionnement de la dépendance vis-à-vis des approvisionnements en combustible nucléaire russe. »
Pour rappel, Cameco est l’un des plus grands producteurs d’uranium au monde.
La résilience des acteurs de l’industrie nucléaire
Dorénavant, les acheteurs se détournent des sources russes, notamment de la part de la société publique russe Tenex, grand acteur mondial.
Les prix sont en hausse. Par exemple, le prix de l’U308, la forme concentrée d’uranium la plus commercialisée a fortement augmenté de l’ordre de 20% jusqu’au 1er juillet. Cette donnée provient de l’évaluation Platts pour la livraison du mois de juillet au Canada.
Suite à l’invasion, Westinghouse, société américaine de réactions nucléaires s’est rapprochée des exploitants de centrales nucléaires d’Europe de l’Est afin d’entamer des discussions « intenses ».
Auparavant, le spécialiste américain du nucléaire a déjà approché l’ukrainien Energoatom pour exploiter 15 réacteurs de cette conception. Malgré les années de conflit avec la Russie, Rosatom est resté le principal fournisseur de combustible pour l’entreprise ukrainienne.
En outre, les professionnels du secteur prévoient de conclure une série d’accords. Par exemple, le producteur tchèque, CEZ, se fournira en combustible nucléaire auprès de Westinghouse et du français Framatome. La République tchèque pourra ainsi réduire sa dépendance à Rosatom.
Par ailleurs, le PDG de Westinghouse, Patrick Fragman précise que la situation actuelle en Europe centrale et orientale propose des opportunités durables aux concurrents de la Russie. À noter, les changements dans l’énergie nucléaire prennent des années à se développer.
Les pistes pour écarter la Russie
D’une part, les professionnels du secteur ont réagi à la guerre en marquant leur intention de cesser tout investissement en Russie pour ses produits de base, malgré l’instabilité sur les marchés. D’autre part, la tendance aux États-Unis et en Europe est d’appeler à interdire l’utilisation des composants du combustible nucléaire russe.
De ce fait, le DOE étudie la question de l’effet du boycott de la Russie. Il prévoit notamment un plan pour assurer la sécurité de l’approvisionnement. Selon une estimation du DOE datant de début juin, un tel plan pourrait coûter entre 3,5 et 4 milliards de dollars.
Par ailleurs, des rapports publiés à la fin du mois de juin ont mis en évidence l’impact des demandes de sanctions canadiennes. Les expéditeurs ont renoncé à acheminer de l’uranium enrichi de la Russie vers les États-Unis. Par conséquent, les destinataires des services publics ont dû trouver une autre source d’approvisionnement.
Ainsi, la chaîne d’approvisionnement mondial en combustible nucléaire se voit bouleversée par la guerre en Ukraine. La résilience des acteurs concernés permet de trouver des solutions. Des actions importantes dans le secteur sont donc à prévoir dans les mois prochains.
Illustration : Nuclear power plants sketch par RUIYAN MENG