Le Blackout au Texas du mois dernier a démontré toute l’importance de l’électricité dans la satisfaction des besoins essentiels. De l’approvisionnement en eau au chauffage des bâtiments, l’électrification des sociétés impacte la quasi-totalité de notre vie quotidienne. En cela, la crise texane nous rappelle la très grande fragilité des réseaux électriques en cas d’évènement climatique extrême. 1 mois après l’évènement, quelles leçons peut-on tirer de cette crise et quelles sont les solutions envisagées ?
Blackout au Texas : l’interconnexion des réseaux est-elle la solution ?
Les atouts des interconnexions
Peu après la fin du Blackout au Texas, beaucoup d’observateurs pointaient du doigt l’absence d’interconnexions du réseau électrique texan ERCOT. La propagande chinoise elle-même mettait en avant les interconnexions nationales pour assurer que la situation texane était improbable en Chine. Rappelons que le Texas a toujours souhaité isoler son réseau afin d’éviter toute régulation fédérale. Il est vrai cependant que les interconnexions peuvent permettre d’importer de l’électricité en cas de hausse soudaine de la demande.
Ainsi au Texas, près de 5 millions d’habitants ont pu bénéficier des interconnexions avec les autres réseaux pour se chauffer. En dépit de sa totale insularisation, le ERCOT ne couvre en effet que 85 % de la population de l’État. Les interconnexions sont d’autant plus importantes dans un contexte de pénétration rapide des énergies renouvelables dans le mix électrique. L’intermittence de ces énergies peut se voir en effet compensée par l’importation de surplus d’électricité présents dans d’autres régions.
Les interconnexions n’auraient pas pu éviter la crise au Texas
Néanmoins, si les interconnexions offrent une certaine stabilité aux réseaux, elles n’auraient pas pu empêcher les pénuries d’électricité au Texas. Le problème vient que les interconnexions jouent leur rôle stabilisateur qu’en cas de surplus d’électricité sur une partie du réseau. Dans ce cas, des quantités peuvent être exportées vers des régions en pénurie. Or, au moment de la crise, l’ensemble des États-Unis subissait une vague de froid intense restreignant les capacités d’exportation.
En d’autres termes, du 15 au 18 février, aucun État américain n’aurait pu fournir suffisamment d’électricité au Texas. En outre, ces super-réseaux interconnectés peuvent renforcer le risque de Blackout si toutes les régions se trouvent en sous-capacité. Dans ce sens, loin de stabiliser le réseau, les interconnexions auraient probablement contribué à aggraver la crise.
Les marchés dérégulés de l’électricité sont-ils à l’origine du Blackout au Texas ?
Les effets pervers de la dérégulation
Le Texas se caractérise par son marché complètement dérégulé de l’électricité depuis 1999. D’un côté, cette dérégulation a permis de faire baisser les prix en dessous de la moyenne nationale. Cependant, cette dérégulation a créé un certain nombre d’effets pervers particulièrement visibles pendant la crise.
Premièrement, elle a contribué au sous-investissement dans la protection des générateurs d’électricité aux risques climatiques extrêmes. En poussant à la baisse des prix, la concurrence a créé une course à la rentabilité au détriment des investissements. En outre, cette dérégulation entraîne une très forte variabilité des prix pour le consommateur, surtout en cas d’effondrement de l’offre. C’est pourquoi en pleine pénurie, certains consommateurs ont été sommés de payer près de 9000 dollars de facture d’électricité.
La solution des marchés de capacité
Afin de lutter contre ces effets pervers, beaucoup d’observateurs militent pour l’instauration d’un marché de capacité. Ce marché permettrait d’acquérir à l’avance des capacités électriques de réserve en cas de hausse soudaine de la demande. De fait, cela récompensera financièrement les générateurs capables de fournir très rapidement des réserves aux heures de pointe. Aujourd’hui, le marché dérégulé texan n’offre aucune incitation à constituer des réserves d’électricité sur le réseau.
Les batteries n’étant pas encore suffisamment développées, il s’agirait surtout de capacités gazières à forte capacité de montée en charge. Le problème, c’est que cette solution n’aurait sans doute pas pu éviter le Blackout au Texas. En effet, la tempête arctique a fortement touché les centrales à gaz créant un effondrement de 25 % des capacités. En conséquence, les générateurs d’électricité de réserve auraient été confrontés aux mêmes difficultés liées au froid que les autres générateurs.
La nécessité de renforcer la résilience des réseaux électriques
Une société de plus en plus électrifiée
L’origine du Blackout au Texas ne s’explique donc pas par l’absence d’interconnexions ou de marchés de capacité. Ce sont les générateurs d’électricité, mal préparés au froid, qui furent les principaux responsables de la pénurie d’électricité. Ainsi, la crise texane nous rappelle l’importance de la résilience de l’ensemble du réseau électrique face aux climats extrêmes.
Cette problématique se trouve renforcée par l’électrification croissante des sociétés dans le monde. L’électricité représente de facto le principal vecteur utilisé afin de décarboner une grande partie de l’économie. Dans les prochaines années, la hausse des véhicules électriques ainsi que l’électrification du chauffage des bâtiments vont tirer la demande. Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), l’électricité devrait représenter 40 % de la consommation finale d’énergie en 2050.
La nécessaire modernisation des réseaux
De plus en plus dépendants de l’électricité, les États vont devoir investir davantage dans le renforcement des réseaux électriques. Le plan Biden pour l’énergie devra répondre à cette épineuse question des réseaux électriques. Rappelons qu’avec le réchauffement climatique, les évènements extrêmes comme au Texas devraient se reproduire bien plus souvent qu’auparavant. La protection des équipements électriques contre les vagues de froid doit faire ainsi l’objet d’investissements prioritaires dans les prochaines années. De même, les compagnies ont tout intérêt à investir dans l’enfouissement des réseaux afin de les protéger du choc climatique.
Les évènements au Texas ont également montré l’importance des alternatives potentielles aux réseaux traditionnels. La création de micro-réseaux fondés sur les énergies renouvelables décentralisées peut en effet alléger la pression sur les réseaux régionaux. L’usage des batteries et du solaire sur les toits permettent ainsi à des particuliers d’être auto-suffisants en électricité. En retour, cela réduira les pics de demande aux heures de pointe et contribuera à la stabilité du réseau traditionnel.
Le Blackout au Texas a mis en avant l’extrême fragilité des réseaux électriques dans un contexte d’électrification croissante des sociétés. Afin d’améliorer la résilience des réseaux, les interconnexions peuvent s’avérer bénéfiques bien qu’elles reposent sur l’existence de surplus d’électricité. Les marchés de capacité doivent également être développés afin d’encourager la constitution de capacités de réserve. Enfin, des investissements conséquents doivent être réalisés afin de protéger les infrastructures face à la multiplication des évènements climatiques extrêmes.